"Il y a plein d'actrices que le métier détruit" : Régis Wargnier publie "La dernière vie de Julia B."
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, le réalisateur et écrivain, Régis Wargnier. Il publie "La dernière vie de Julia B." aux éditions Robert Laffont.
Régis Wargnier est un réalisateur de cinéma, auteur, membre de l'Académie des Beaux-Arts depuis 2007, au fauteuil d'Henri Verneuil. Il a appris à travailler Claude Chabrol et depuis, ses films ont trouvé un public, des critiques et de belles récompenses aussi. César de la meilleure première œuvre pour son film La femme de ma vie (1986), cinq Césars, un Oscar pour Indochine avec Catherine Deneuve (1991). Il publie La dernière vie de Julia B. aux éditions Robert Laffont.
franceinfo : C'était nécessaire pour vous, de nous emmener dans les coulisses de cette vie qui donne l'impression d'être intouchable ?
Régis Wargnier : Oui, parce que, forcément, j'aime beaucoup les actrices et le cinéma. Quand j'ai accédé à la mise en scène, j'ai quand même eu la chance de filmer Jane Birkin, Catherine Deneuve, Dominique Blanc, Sandrine Bonnaire ou encore Emmanuelle Béart. Quand on est sur un tournage, c'est extrêmement intime. Il y a le personnage entre nous, mais en même temps, c'est beaucoup de proximité et à un moment, je me suis dit : est-ce que je les connais vraiment ? Je les ai projetées artistiquement pendant des années et je me suis dit : tiens, j'ai envie de les projeter humainement et de m'interroger sur ce qu'elles sont, sur ce qu'elles vivent et peut-être de tordre cette thèse ou cette théorie qu'elles ont toutes, qu'elles se mettent dans un rôle, qu'elles apportent leur sensibilité, leur vécu. Ça m'a donné envie d'écrire, peut-être parce que je vis avec des actrices depuis 40 ans.
Je me suis aperçu que les actrices se nourrissent des rôles. Ça leur donne une force dans la vie, comme une armure.
Régis Wargnierà franceinfo
C’est l’histoire d'une actrice de renommée mondiale qui s'est retirée du cinéma. Elle a 65 ans et elle est vraiment totalement isolée dans sa demeure en Bretagne. Sa meilleure amie, c'est sa mélancolie et ses souvenirs assez lointains, mais très puissants, puisqu'ils font référence à ses heures de gloire. C'est une fiction ?
Dans la mesure où ce n'est pas une actrice, mais plusieurs actrices, à partir de situations que j'ai vécues ou que j'ai entendu, j'ai, quand même, développé pas mal d'imaginaire là-dessus. C'est plus cruel pour les actrices, pour les femmes, parce qu'il y a le temps qui passe et je pense qu'on attend ou on demande peut-être plus à une actrice sur son apparence, sur son physique qu'à un acteur.
Il y a quelque chose de très étrange pour les actrices, c'est qu'elles attendent du public qu'il les aime et elles disent : "Vous allez aimer mon personnage, mais c'est moi qu'il faut aimer. C'est moi qu'il faut aimer parce que si vous ne m'aimez pas, ma carrière va s'arrêter". Il y a plein d'actrices que le métier détruit.
Vous faites vraiment vos débuts aux côtés de Claude Chabrol, ce n'est pas rien !
C'est un homme exquis, gentil. Moi, je suis arrivé par hasard sur le film comme doublure lumière de Michel Piccoli. Il y a des gens qui ne vous laissent pas accéder à leur part de création sur un film, c'est très mystérieux et avec Claude, c'était ouvert. Il m'a vu démarrer dans le cinéma. Il m'a dit à chaque fois : "Arrête de vouloir faire le plus grand film du monde. D'abord, il a déjà été fait" et il ajoutait : "Fais comme moi. Je tourne, je tourne, je tourne et au bout, j'espère qu'il y a une œuvre".
Licence de lettres classiques, maîtrise de Grec à la faculté des lettres de Nanterre, Université Paris 10. Votre papa, Officier d'Infanterie, n'était pas du tout de ce milieu-là. Qu'est-ce qui vous a donné envie, alors, de vous tourner vers le cinéma ? Il y a eu la photographie au départ, vous avez même monté un atelier à 21 ans.
Le cinéma, c'est : refuge, évasion et échappées. Enfance compliquée parce que père absent, faisant la guerre. Il a enchaîné l'Allemagne, je n'étais pas né, la guerre d'Indochine et la guerre d'Algérie, donc, ça fait douze ans d'absence. Une mère à la fois forte et fragile, perturbée, seule, angoissée parce que vous savez qu'à l'époque, il n'y avait pas de moyen de communication, c'étaient juste des courriers.
Mon évasion à moi, ça a été très tôt. À sept, huit ans, j'allais au cinéma tout seul. J'ai bouffé des films américains, des westerns, des films d'aventures. Des mélodrames aussi et ce qui était intéressant, je l'ai compris après, c'est que ce que je voyais dans les mélo, c'était ce qu'on me cachait dans la vie. Je voyais des femmes un peu malheureuses, qui prenaient un verre de trop, qui dansaient toutes seules. J'ai vécu dans cette espèce de fausse réalité de la vie de tous les jours, où il y avait des mystères cachait et puis, sur le grand écran, j'avais le droit de voir des choses assez dramatiques. C'est ça qui m'a mis dans le cinéma et je n'en suis jamais sortie.
Ce qui est drôle, c'est que quand on regarde l'intégralité de votre œuvre jusqu'à aujourd'hui, c'est une énorme déclaration d'amour à votre mère.
L'amour que j'ai reçu de ma mère m'a mis debout.
Régis Wargnierà franceinfo
Probablement, même si c'est compliqué, même s'il y a des manques, même si il y a un père absent, même s'il y a du danger.
Cet amour, on le retrouve dans La femme de ma vie, qui vous a permis d'ailleurs de recevoir votre premier César de la meilleure première œuvre. Ça fait du bien de sortir un premier film et d'être tout de suite couronné ! Ca déstabilise ?
Non, parce que quand ça m'est arrivé, je n'avais pas 25 ans, j'en avais plutôt 37. Je ne voulais pas me regarder en face et me dire : tu as de l'ambition, vas-y ! J'ai fait un film avec Volker Schlöndorff au Liban pendant la guerre du Liban, Le faussaire, un film remarquable et mon assistante libanaise, à la fin du tournage, m’a dit : "Ça fait trois mois que je te regarde travailler, quand est-ce que tu te mets à ton service ?"
Êtes-vous enfin à votre service, alors ?
Oui, je pense.
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