"J'ai passé 21 ans en prison en les assumant" : ancienne figure du grand banditisme, Frank Henry se raconte sur scène

Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 19 janvier 2024 : L’ancien gangster devenu luthier, écrivain et réalisateur, Frank Henry. Il est, fin janvier, seul sur la scène du théâtre de la Nouvelle Ève à Paris dans la pièce autobiographique : "Gangster : Ni Fier, Ni Honteux".
Article rédigé par Elodie Suigo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L’ancien gangster devenu luthier, écrivain et réalisateur, Frank Henry, e, janvier 2024. (FRANCE INFO / RADIO FRANCE)

Quand on regarde le parcours, ce que d'autres appellent le pedigree, cela fait vraiment froid dans le dos puisque Frank Henry a à son actif  70 braquages référencés, 21 millions de butins et 21 ans de prison. Aujourd'hui, il s'est rangé. Devenu luthier, écrivain, scénariste et réalisateur, il a notamment coécrit dans les séries : Braquo ou encore Engrenages. Il est à partir du 26 janvier sur scène du Théâtre de la Nouvelle Ève, à Paris, avec la pièce autobiographique Gangster : Ni Fier, Ni Honteux.

franceinfo : Vous étiez l'une des plus grandes figures du grand banditisme, ce qu'on appelle un parrain. Je vais préciser que vous n'avez jamais tué personne dans cette folie meurtrière.

Frank Henry : Alors, 'Parrain', je m'inscris en faux. Lorsqu'on me dit que j'étais un parrain, je réponds que je n'en étais même pas la marraine.

L'homme que vous êtes a-t-il définitivement raccroché ?

Ah, c'est clair. Cela fait un moment, ça fait 20 ans.

Y'a-t-il toujours une épée de Damoclès qui pèse au-dessus de votre tête ?

Moi, je ne suis absolument pas sollicité. J'ai encore quelques amitiés chez les voyous parce que ce sont des gens que je connais depuis longtemps et que je n'ai aucune raison de les renier. Ce qu'ils font ne m'intéresse pas. Je dis toujours que si je devais récidiver, il ne faudrait surtout pas appeler la police, mais les urgences psychiatriques !

C'est votre fils qui vous a fait basculer définitivement du bon côté.

Quand mon fils est né, j'ai dû choisir entre être père ou gangster, j'ai décidé d'être père.

Ce spectacle vous permet de raconter votre vie. Est-ce une façon de démystifier justement le grand banditisme ?

Moi, c'est mon fonds de commerce depuis 20 ans. Je ne fais que ça. Quand j'écris des fictions, c'est toujours dans l'idée de démystifier l'esthétique, le romantisme et le côté glamour qu'on donne au banditisme. La première cause de mortalité, ce sont les voyous qui se tuent entre eux, ce ne sont pas les flics qui les tuent. Ils en tuent un de temps en temps et ça fait les titres... Mais on s'embrasse à midi et on est capable de s'échanger des coups de revolver le soir !

C'est à l'adolescence que cela bascule. Qu'est-ce qui fait que l'enfant que vous étiez devient un voyou ?

Dans mon spectacle, j'ai une phrase qui est fondamentale et qui est un peu la clé de tout le spectacle, c'est : "Tous les déséquilibrés psychoaffectifs ne deviennent pas des gangsters et heureusement. En revanche, tous les gangsters sont des déséquilibrés psychoaffectifs". Et là, je sais de quoi je parle puisque moi j'ai été trimballé quand j'étais gamin de nourrices en grands-parents, de grands-parents en pensions et je n'ai pas connu mes parents.

"L'affection que je ne trouvais pas à la maison, j'ai été la chercher dans la rue. Et pour choper l'affection dans la rue, le meilleur moyen c'est de faire le con."

Frank Henry

à franceinfo

Est-ce que, par moments, vous avez craint de blesser, de tuer surtout ?

Ah oui, bien sûr. C'était ma hantise. J'ai toujours essayé de ne pas ajouter de la violence à la violence. Je n'ai jamais mis une claque ou un coup de crosse à un employé ou à un client. J'ai toujours essayé, autant que faire se peut, de faire ça... Allez, on va dire à peu près correctement, mais encore, ce n'est pas le bon terme parce que même en étant correct pour moi, ce n'est pas correct pour les autres.

Lors d'une de vos peines de prison, vous vous êtes rendu compte que les juges étaient principalement de gauche et que donc il fallait absolument réussir à convaincre par la culture.

Sur ma dernière peine, oui. J'ai été dans une démarche totalement dans la ruse. C'est-à-dire que réalisant une enquête sur le parquet de Bobigny où je suis passé aux assises la dernière fois, j'ai vu que c'était un parquet très à gauche et au fond, y allant une cinquième fois avec pas autre chose à leur dire à part : "Stop ! C'est fini, je vais faire autre chose. Vraiment" comment capter l'attention ? Comment sinon être cru, au moins écouté ? Eh bien quand j'ai vu que c'était un parquet très à gauche, je me suis dit peut-être qu'il y a un truc au niveau de la culture. Et je me suis mis à écrire. J'ai essayé un truc en leur vendant je ne sais pas quoi, une espèce d'autopsychothérapie par l'écriture. Et ma foi, ça n'a pas trop mal marché.

Ça a bien marché auprès d'eux, mais aussi auprès de vous parce que ça vous a servi à prendre conscience que vous étiez capable, que vous aviez les armes avec ce crayon, de vous en sortir sans violence.

En me mettant à écrire... Moi, j'ai été publié tout de suite avec un premier bouquin qui n'a pas trop mal marché, avec un deuxième qui a très bien marché. Et puis, la télévision et le cinéma sont venus me voir. Dès ma sortie, j'ai bossé. Le premier gros truc que j'ai fait, c'est un film pour la télévision avec Johnny Hallyday. Vous imaginez le basculement de vie ?

Est-ce que vous êtes fier de l'homme que vous êtes devenu ?

Je suis fier de celui que je suis devenu au regard de ce qu'en pense mon fils.

Comment lui avez-vous raconté votre histoire ?

Lui, il a mal commencé, il a commencé au parloir. Les premières années de sa vie, il était petit, mais il s'en souvient. Et moi je n'avais qu'une peur parce que bon nombre de voyous que je connais ont des mômes qui sont devenus des délinquants à leur tour. Et ça, c'était ma principale hantise.

Donc Gangster : Ni Fier, Ni Honteux n’est-ce pas une belle façon de dire que vous souhaitez un monde meilleur ?

"Je ne suis certainement pas fier de ce que j'ai fait, ce que j'ai fait de mal, mais je n'en suis pas non plus honteux parce que j'ai payé."

Frank Henry

à franceinfo

J'ai passé 21 ans en prison en les assumant, en prenant mes responsabilités. Je ne me suis jamais considéré comme une victime. Personne ne m'a pris de force par la main pour aller faire des braquages. Mais je n'en suis pas honteux parce que j'ai payé donc je ne dois rien, mais certainement pas fier non plus ! 

Retrouvez  cette interview en vidéo :

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.