"Je ne suis pas arrivé au bout de mon écriture", Yann Queffélec poursuit sa route et surprend avec "D'où vient l'amour"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd’hui, l’écrivain et marin, Yann Queffélec. Il vient de publier son nouveau roman, "D'où vient l'amour", aux éditions Calmann-Lévy.
Yann Queffélec est écrivain et marin. Il aime naviguer sur les flots, surfer avec les émotions, avec un vecteur commun : les mots. Les mots ont marqué sa vie, les mots durs de son père, enfant, les mots doux de sa mère trop tôt disparue, les mots salés de ses amis, parmi lesquels ceux de Florence Arthaud. Ses mots aussi, ceux qui nous accompagnent depuis l'écriture de son premier roman, Le charme noir (1983), qui a immédiatement opéré avant de donner naissance aux Noces barbares, salué par le Prix Goncourt en 1985.
Cet amoureux de la vie, de la mer et de l'écriture vient de publier D'où vient l'amour aux éditions Calmann-Lévy.
franceinfo : D'où vient l'amour est une vaste question à laquelle vous tentez de livrer quelques explications. Alors non, on n'aura pas la réponse à l'intérieur de cet ouvrage. Mais ce qui en ressort, en tout cas, c'est ce travail essentiel qu'on doit toutes et tous faire autour de la quête du bonheur.
Yann Queffélec : C'est effectivement une quête du bonheur, la difficulté d'être heureux dans un monde en difficulté, précisément. Là, on a à faire à deux jeunes gens qui ont la chance d'avoir un coup de foudre et qui cherchent désespérément et "espérement" à s'aimer et à vivre heureux. Ça se passe pendant la Seconde Guerre mondiale et on assiste à la fois à une certaine désillusion dans le monde dans lequel ils vivent et en même temps à la volonté quand même de tenir bon, de s'acharner et de trouver une suite et un avenir.
Votre plume montre à quel point vous êtes un romantique. On ne peut pas décrire aussi bien les sentiments, les émotions, les personnages, les décors comme vous le faites si on n'est pas soi-même romantique.
"Le propre de l'écrivain, c'est d'essayer d'abdiquer toute retenue par rapport à ses émotions."
Yann Queffélecà franceinfo
Quand un écrivain parvient à entrer dans le rêve de ses personnages, il ne se pose plus la question du romantisme et c'est l'émotion libre à ce moment-là qui fait la suite du livre.
Quand on parle d'histoire d'amour, évidemment il y a toujours deux êtres. Lui, il s'appelle Samuel Poujol, il a 22 ans, elle s'appelle Maud, elle en a 17 et sous ses jolis vêtements, elle cache en secret, un bébé. Elle est enceinte. On se rend compte très rapidement à quel point il ne suffit pas finalement que deux êtres s'aiment pour réussir un amour, parce qu'il y a plein de personnes qui interfèrent autour. C'est ça aussi cet ouvrage, de pouvoir aussi parler de cet amour et à quel point on ne le maîtrise pas ?
C'est certainement cela. C'est aussi, comment dire la confusion du bonheur et de l'amour. Ce n'est pas parce qu'on se rencontre et qu'on tombe amoureux qu'on va forcément devenir heureux. Lorsqu'ils se rencontrent, c'est un coup de foudre. Ils se rencontrent dans un cadre absolument paradisiaque, dans les Cévennes. Ensuite, cette jolie Maud va descendre dans la vallée, dans la ville du Vigan, pour accompagner son amour, Samuel. C'est à ce moment-là que le bât blesse. C'est à ce moment-là que les autres interfèrent et qu'on se rend compte que la personne qu'on aime peut aussi se révéler être un inconnu, ou une inconnue d'ailleurs, et qu'il va falloir faire connaissance dans cet amour.
La lâcheté est au cœur de ce roman. On sent que c'est quelque chose que vous avez toujours fui.
C'est une question comme : d'où vient l'amour ? Est-ce qu'on est lâche ou est-ce qu'on est courageux ? Est-ce que j'aurais été courageux pendant la Seconde Guerre mondiale ? Je n'en sais strictement rien. On voit bien ce qui se passe aujourd'hui avec les Ukrainiens. De quel côté se situer ? Est-ce qu'on doit s'abandonner à ses émotions et puis se dire : "Voilà, c'est forcément les Ukrainiens qui sont dans leur bon droit et il faut tout faire pour les soutenir, ce que je pense qu'il faut faire". Mais en même temps, on ne connaît pas suffisamment l'Histoire. Je ne connais pas suffisamment l'Histoire pour être tout à fait sûr des décisions et des émotions qui me guident
Quand on lit cet ouvrage, on se rend compte que votre plume est affûtée. Chaque mot est bien choisi. On vous revoit quasiment enfant, en train d'écrire vos premiers textes. Vos premiers textes vous les écrivez pour votre maman, pour l'épater un peu.
J'écris pour ma mère, oui.
"J'écris toujours pour ma mère. Elle n'est plus là, mais en même temps, elle est là."
Yann Queffélecà franceinfo
Après chaque page, je me dis : est-ce que ma mère aurait trouvé bien ce que j'ai écrit ? Est-ce que ce qu'elle vient de lire par-dessus mon épaule, elle trouve ça bien ?
J'ai l'impression que vous êtes enfin libre. Vous avez toujours choisi cette route, cette quête de la liberté. On sent que vous naviguez justement sur cette vague de la liberté. Est-ce que je me trompe en disant ça ?
Non, pas du tout. La liberté est au cœur de la préoccupation humaine. On se rend compte qu'on est de moins en moins libres aujourd'hui, que même lorsqu'on se croit libre, on est connecté, contraint et forcé comme ça, par cette époque, malgré tout. À travers toutes ses connexions, j'essaie de sauver cet espace de liberté, qu'on appelle un livre, qu'on appelle un roman, dans cette époque qui est de plus en plus technologique, de plus en plus dure sur tous les plans, pour garder le sourire aux lèvres.
Marin dans l'âme, marin dans le cœur, marin dans l'écriture aussi. C'est vrai que les choses se passent dans les Cévennes, donc c'est assez perturbant d'ailleurs parce que c'est pas forcément là où vous nous emmener d'habitude. On sent que ce voyage devient un voyage aussi personnel. Ça veut dire que l'écriture continue à vous faire grandir, à vous faire voyager, à vous faire aimer la vie ?
J'aime bien cette question ! Parce que je ne suis pas arrivé au bout de mon écriture. Je suis persuadé chaque fois que mon meilleur livre est à venir et c'est Nietzche qui disait : "Deviens ce que tu es". Plus on écrit, plus on devient ce qu'on est et il y a un moment où on est plus, d'ailleurs, que ce qu'on est. C'est ça qu'on peut appeler la liberté. Et dans cette liberté, effectivement, on a de très, très belles surprises. On arrive sur des oasis ou sur des horizons qu'on n'avait absolument pas prévu et qui permettent de cueillir des choses simples et comme il faut.
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