Julie Depardieu incarne Magda Goebbels : "C'est la naissance d'un monstre qu'on peut tous devenir"
Le jeu d'actrice et l'imaginaire qui va avec, sont sans conteste ce qui décrit le mieux Julie Depardieu. Elle aime les mots, le verbe aussi, celui que l'on prononce haut et fort, parfois à mi-mot, doucement, parce que l'intention le nécessite. Elle a commencé à tourner dès 1994 avec Le Colonel Chabert d'Yves Angelo, ce qui lui a permis de se faire un prénom. Mais ce n'est qu'en 2006 qu'elle s'est sentie vraiment actrice avec, deux ans plus tôt, ces deux César incontournables pour le film La Petite Lili de Claude Miller dans les catégories Meilleur espoir féminin et meilleur second rôle. Depuis, elle en a récolté un troisième, en 2008, pour son second rôle dans Un secret, toujours de Claude Miller.
Jusqu'au 22 décembre 2023, elle est sur la scène du Théâtre Tristan Bernard dans la pièce Bunker - Lettres de Magda Goebbels de Christian Siméon et dont la mise en scène est signée Johanna Boyé.
franceinfo : Dans Bunker, vous êtes Magda, l'épouse perverse et malsaine de Joseph Goebbels, propagandiste absolu du nazisme. Avant de parler de cette performance, on va parler du contexte. Un contexte qui est malheureusement très dur en ce moment, avec des actes antisémites qui ne cessent d'augmenter chaque jour depuis le début du conflit israélo-palestinien. Quel regard portez-vous sur ces événements et comment réagissez-vous ?
Julie Depardieu : Je suis atterrée, je l'espère, comme tout le monde, de cet éternel recommencement et franchement, j'espère que ça va se tasser. Je ne sais pas quoi dire. C'est vrai que par conséquent, en jouant Magda Goebbels, on entraperçoit avec qui il ne faut pas frayer. Enfin, moi qui la joue et peut-être le spectateur. Au début, Magda est sympathisante et elle va devenir fanatique très vite. Et c'est ça le fanatisme, il y en a partout.
La pièce est constituée d'une série de lettres, d'extraits de journaux intimes, de témoignages retraçant le parcours de Magda, admirée par Hitler, icône nazie, première dame du Troisième Reich et mère six fois meurtrière. Le sous-titre est simple : Une fausse correspondance pour un destin effroyable. C'est ce qu'il faut retenir ?
Oui. Je pense que l'auteur, Christian Siméon, était vraiment fasciné par cette femme et comment, avec sa culture, son intelligence, elle a pu devenir ce monstre. Son premier amour est un Juif qui part en Israël parce qu'il est, avant la guerre, pour que tous les Juifs du monde aient cette terre. C'est vraiment un précurseur. Le nouveau mari de sa mère est juif, ce beau-père adoré qui lui a tout payé, ses études, elle l'adore et 20 ans après, elle l’a quand même laissé mourir à Dachau où je ne sais où.
"Christian Siméon, en écrivant ‘Bunker’ a voulu essayer de comprendre la naissance d'un monstre."
Julie Depardieuà franceinfo
Cette pièce montre à quel point c'est important de faire des choix. Vous-même, vous en avez fait et j'ai l'impression que ce sont vos convictions qui vous ont toujours guidées.
Je suis quand même quelqu'un d'assez instinctif. Je passe ma vie à changer d'avis ! Tout le monde se moque de moi parce que je dis un truc et tac, il y en a un autre qui parle et je fais : non... Justement, j'écoute mes sensations et mon intuition me guide plus que ma réflexion.
Vous vous êtes cherché pendant très longtemps.
Ben oui, et encore maintenant, vous savez !
Vous avez tenté plein de métiers et puis, il y a eu la philosophie qui vous a beaucoup accompagnée. Qu'est-ce qui fait que vous quittiez la philosophie pour tenter ce métier d'actrice ?
Pas tout de suite ! Après, j'ai fait plein de métiers parce que justement, je n'osais pas. Je me disais : mais qui tu es quoi ? Tout le monde dans ta famille fait ça, tu ne vas pas en plus faire ça, c'est la honte. Mon premier film, je faisais un remplacement. Ce n'est pas moi qui ai dit...
Mais Le Colonel Chabert reste le point de départ.
Oui, voilà. En plus, là, je ne parlais pas. Le premier rôle parlant, j'avais très très peur. Ma première phrase, je me suis dit : mais jamais, je n'arriverai pas à le dire sans pouffer de rire et en fait, j'y suis arrivée et ça m'a plu.
"Au départ, je n'osais pas dire que je voulais être actrice. Quand votre hérédité est quelqu'un qui travaille énormément et qui est très reconnue, tu ne sais pas trop comment faire avec ton désir de faire ça. Tu ne dis rien."
Julie Depardieuà franceinfo
Que vous procure ce métier ? Vous procure-t-il du bonheur ?
Oui, mais par exemple, dans Magda Goebbels pas que. Il y a aussi de l'angoisse. Ce n'est pas une pièce où tu te dis : "Tiens, on va bien s'amuser ce soir !" Moi, je suis assez premier degré puisque je n'ai pas de formation. Toute ma famille fait ça, mais je ne suis pas allée au cours de théâtre parce que c'était quand même un peu la honte. Je suis allée assister à des cours, mais je ne suis jamais passée, donc je regardais les autres, on apprend aussi. Mais j'avais un problème de légitimité, oui.
Est-ce que votre père vous encourageait à faire ça ?
Pas tellement.
Vous avez toujours précisé qu'il n'était jamais intervenu, mais est-ce que quand vous en parliez avec lui ? Vous encourageait-il à épouser ce chemin-là ?
Non, non, parce que justement, lui voulait que je sois philosophe. Je lui ai dit : mais je ne suis pas très bonne, tu sais, j'ai deux licences, mais c'est très facile d'avoir deux licences. Et lui, il n'arrêtait pas de dire à tout le monde : "Ma fille étudie la philosophie", il était hyperfier et voilà ! En fait, on n'en parlait pas beaucoup, pas trop non.
Dans Bunker, on vous confie un rôle qu'il faut incarner. Pour le coup, il ne peut pas y avoir de demi-mesure. Êtes-vous fière de ça ?
Quand j'ai lu la pièce de Christian Siméon, ça m'a semblé évident et je me suis dit : ce n'est pas facile, mais c'est tellement bien écrit, et c'est tellement évident que cette fille n'est pas très loin de nous. Voilà ce qui est intéressant, c'est ce virage, cette bascule, la naissance d'un monstre qu'on peut tous devenir.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.