Ken Loach : "Je ne me vois pas forcément réaliser un autre film"
Ken Loach est un réalisateur britannique, deux fois primé à Cannes. La première fois pour Le vent se lève en 2006 et la deuxième fois pour Moi, Daniel Blake, dix ans plus tard. Soyons clairs, il n'aime pas les injustices, il a une vision très tranchée du système capitaliste et l'assume. Son nouveau film The Old Oak qui sort mercredi 25 octobre 2023 est un beau résumé de son regard sur le monde. C'est le dernier volet de son triptyque entamé en 2015 avec Moi, Daniel Blake, suivi en 2019 de Sorry We Missed You.
franceinfo : Vous proposez pour la première fois de nous raconter deux communautés. Les habitants d'un petit village du nord-est du Royaume-Uni, marqués par le chômage à cause de la fermeture de la mine de charbon et des réfugiés syriens accueillis dans ce même endroit. Et il y a ce pub qui est devenu finalement le seul endroit où tout le monde peut se réunir. Ce que montre et dit avant tout votre film, c'est qu'il faut communiquer, apprendre à se connaître. C'est ça la clé ?
Ken Loach : Oui, absolument. Mais j'espère que c'est un petit peu plus que ça ! C'est l'histoire de deux communautés. En Angleterre, en Grande-Bretagne, les vieilles industries sont mortes et les communautés qui y travaillaient ont été laissées-là, seules à moisir et on le voit particulièrement dans la communauté minière. En plus de cette communauté, s'ajoute celle des réfugiés syriens qui ont vécu le traumatisme d'une guerre. Ils ont perdu des membres de leur famille, et ils arrivent dans un pays dont ils ne parlent pas la langue. La question est : est-ce que ces deux communautés vont pouvoir vivre ensemble ? L'ancienne solidarité traditionnelle des syndicalistes, des mineurs, va-t-elle prévaloir ? Ou bien est-ce que c'est la colère, le terreau fertile pour le racisme qui est un petit peu entretenu par les politiques et par les extrêmes qui finalement va prévaloir ? Et ce sont deux tendances qui s'affrontent.
Êtes-vous inquiet de cette situation ? De ce qui se passe ?
Bien sûr ! L'Occident doit vraiment reconnaître sa part de responsabilité là-dedans et cela remonte à des siècles. Ce sont vraiment les classes dirigeantes, il ne faut pas avoir peur du mot "classes dirigeantes", qui envahissent pour réaliser du profit, imposer leurs lois, imposer leurs langues et pour gérer ces territoires. Au Moyen-Orient, on a vraiment vu de grandes divisions se créer à cause des colons, des interventions vraiment monstrueuses et c'est ce qui explique beaucoup les problèmes que l'on a aujourd'hui.
Votre père était mineur, puis contremaître. Il n'a pas pu devenir avocat comme il le souhaitait car ses parents n'avaient pas les moyens de lui financer son uniforme. Est-ce que c'est le point de départ du travail que vous avez d'ores et déjà accompli ?
"L'une des leçons que l'on a apprise des livres, c'était que la classe dirigeante survit à toutes les crises, alors que la classe ouvrière paie les pots cassés."
Ken Loachà franceinfo
Mon engagement politique a commencé dans les années 60, quand le slogan était : "Ni Washington ni Moscou". Des idées vraiment très radicales que nous avons apprises et que les succès des années ont validés. Margaret Thatcher a été vraiment la grande illustration de ça parce que remettre le profit sur le devant de la scène a détruit les syndicats. Elle a tout fait pour détruire les syndicats.
Vous avez évoqué que ce film était peut-être votre dernier. Est-ce possible ?
Oui, je crois. Il arrive un moment où on est obligé d'admettre son âge et les réalités de son âge. On est moins agile. Voilà 60 ans que je me suis mis pour la première fois derrière la caméra et ça fait vraiment longtemps. Je ne me vois pas forcément réaliser un autre film. J'aimerais beaucoup.
"C'est un grand honneur, un grand privilège, mais je ne suis pas sûr que je pourrais encaisser le fait de faire un autre film. Il ne faut jamais dire 'jamais', mais pour l'instant non."
Ken Loachà franceinfo
On parle beaucoup de photos dans ce film. Le point de départ, ce sont les photos de Yara. Elle immortalise des souvenirs. Quelles sont les photos les plus importantes de votre vie ?
Celles de la guerre quand j'étais enfant. J'habitais près de Coventry et la cathédrale a été entièrement détruite. Les images du travail et les amitiés qu'on noue aussi. Finalement, ce dont on se souvient à la fin d'un film, ce sont les amitiés qu'on a nouées, c'est vraiment le processus de collaboration, les liens qu'on a créé et le soutien mutuel. C'est cette unité que je chéris le plus dans le fait de faire des films.
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