L’ancien juge antiterroriste Marc Trévidic : "L’être humain peut faire n’importe quoi au nom d’une idéologie"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, l’invité est l’actuel président de la Cour d'appel de Versailles Marc Trévidic pour le livre qu'il publie aux éditions Flammarion : "Le roman du terrorisme".
Marc Trévidic a été juge d’instruction au pôle antiterroriste, spécialiste des filières islamistes de 2006 à 2015. Un poste très exposé pour un sujet délicat : "C’est d’abord une affaire politique" dit-il. Un domaine dans lequel, il est compliqué de trouver sa place. Il regrette un peu qu’on imagine encore que la justice est là que pour une seule chose : "Mettre les gens en prison et pas avoir un rôle très très actif."
Dans son ouvrage Le roman du terrorisme, il déroule le fil du terrorisme protéiforme depuis le XIème siècle en l’exemplifiant. Il rappelle à notre mémoire des événements récents mais aussi bien plus lointains. Au sujet de la barbarie séculaire plus "propre" au XIème siècle : "On a une certaine forme de terrorisme, un peu plus humain que les autres" dit-il en souriant. Puis il l’explique : "C’est-à-dire que j’ai voulu justement partir de la naissance du terrorisme moderne au XIème siècle avec l’Ordre des Assassins, Hassan ibn al-Sabbah, parce que c’était un usage modéré de la violence. Il ciblait des dirigeants qu’il voulait faire plier à ses volontés, l’arme du faible contre le fort donc il tuait des califes, des sultans. Il ne faisait pas de massacres inutiles et il arrivait à des résultats exactement à l’antipode de ce qui se passe aujourd’hui : les attentats de masse. Désormais on tue n’importe qui, n’importe comment."
La méthode terroriste n’est pas une idéologie, c’est simplement une méthode au service d’une stratégie
Marc Trévidicà franceinfo
La naissance du terrorisme est en Perse : "Avec des gens qui étaient opprimés et qui devaient cacher leurs convictions religieuses pour s’organiser, pour devenir puissants et pour frapper quand ils étaient prêts. C'est la Taqîya, l’art de la dissimulation" raconte Marc Trévidic. Le fondateur de l’Ordre des Assassins envoie pendant dix ans des gens s’infiltrer sous couverture de gardes du corps par exemple, d’un calife ou d’un sultan : "D’un claquement de doigts, ils passent à l’action. C'est terrifiant."
L'ancien juge antiterroriste dresse le parallèle avec les tueries de mars 2012 à Toulouse et Montauban (7 morts dont 3 enfants). Mohammed Merah emploiera ce même mode opératoire : "Avoir une apparence de vie normale de jeune de banlieue, le jean, les baskets et puis écouter de la musique. Voilà, clairement si on veut être efficace, il faut admettre qu’il faut vivre pendant un temps comme des mécréants, au milieu d’eux." Ce sont aussi des vies gâchées comme celles de deux frères qui partent faire le jihad ensemble et qui se retrouvent à lutter l’un contre l’autre : "Il faut mettre de l’humanité là-dedans, il faut du cœur. Il y a des drames humains, ce ne sont que des drames humains."
On est au cœur de ce que l’on veut défendre, c’est-à-dire la liberté d’expression, la laïcité, on est dans notre ADN. C’est un combat qu’il ne faut absolument pas perdre. Les terroristes veulent changer l’ordre établi.
Marc Trévidicà franceinfo
Marc Trévidic prévient : "Si demain on se disait : ‘ On est trop frileux, on s’autocensure, plus de caricatures, on ne fait plus d’Histoire des religions, on ne relativise pas. Ils gagnent. Le combat, il est essentiel. On parle d’ailleurs de dessins qui sont parfaitement anodins faut quand même le rappeler avec force et puis ça voudrait dire pareil pour les écrits (…) Demain, il n’y aura plus de limites."
L’épée de Damoclès
Témoin direct, il est exposé professionnellement parlant parce qu’il voit défiler dans son bureau de nombreux terroristes : "60 personnes de l’État Islamique parties à Raqqa", et subit des pressions, des menaces. Sa position impacte aussi sur sa vie personnelle, il a peur "Pour les miens, oui" et bénéficie d’une garde rapprochée durant cette quasi décennie.
Même s’il en sourit aujourd’hui, il confie au micro d’Élodie Suigo son désappointement, sa solitude et sa peur un an et demi après sa mutation à Lille sur un autre poste. "Du jour au lendemain, on vous enlève cette proctection" explique-t-il et puis ses anciennes fonctions le rattrapent. Deux individus sont arrêtés parce qu’ils préparent un attentat : "Dans la perquisition, on s’est rendu compte qu’ils avaient des photos de moi, qu’ils cherchaient mon adresse. Le problème que j’ai remarqué, c’est qu’on ne m’a pas remis de protection pour autant. Donc, il y a des moments où j’ai eu un peu peur parce que je savais que j’étais menacé et que ça venait de l’État Islamique et que rien n’était fait". Pour Marc Trévidic, il y a une réelle défaillance en France concernant le traitement de la justice : "Tant que l’État Français ne sera pas capable de respecter sa justice, on n’aura pas franchi un cap majeur en termes de démocratie".
"Ça fait froid dans le dos"
L’ancien juge antiterroriste ne nous rassure pas lorsqu’il évoque l’adage Touareg très prisé d’Al-Qaïda : "Vous avez l’heure mais nous avons le temps" qui en d’autres termes veut dire : "Vous avez la technologie mais nous on a tout le temps qu’il faut", une idée parfaitement glaçante pour lui.
L'avenir c’est une lutte différenciée, éviter les dégâts collatéraux qui un jour, pourraient nous exploser en plein visage selon Marc Trévidic : "Il ne faut surtout pas rentrer dans leur jeu. Rentrer dans leur jeu, ça reste le problème de la surréaction par rapport à un attentat. Ne nous en prenons jamais à la population musulmane, de façon indifférenciée, ça reste des individus, et il faut qu’ils soient coupables de quelque chose pour les mettre en prison. L'orage passera, pas besoin d’une millième loi, ça ne sert à rien, on a toutes les lois qu’il faut".
>> Une interview à écouter en intégralité ici :
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