Le photographe et cinéaste Raymond Depardon : enfant, "je ne regardais pas, j'avais du mal à regarder"
Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Aujourd'hui, un des maîtres du film documentaire : le photographe, journaliste et cinéaste Raymond Depardon.
C’est au musée du Service de santé des armées, à l’Ecole du Val-de-Grâce, qu’Elodie Suigo a rencontré Raymond Depardon il y a quelques mois lors de son exposition 1962/1963 photographie militaire. Un lieu particulier à ses yeux : "C’est impressionnant oui. À la fois c’est l’endroit idéal pour exposer des photos (…) Il y a une belle lumière assez tamisée, les murs sont magnifiques et ils ont fait la prouesse de pouvoir exposer dans un lieu comme ça sans toucher aux murs et en gardant cette magie du lieu".
Raymond Depardon : un regard
À l’adolescence, c’est un enfant timide, ayant du mal à s’exprimer, gêné par le fait de ne pas faire d’études, il avoue être mal dans ma peau : "Moi j’avais le souvenir que je ne regardais pas. J’avais du mal à regarder. On disait d’ailleurs 'Tu regardes tes chaussures plutôt que de regarder les gens' !" puis son père lui offre un appareil photo et là, comme par magie, il pose enfin son regard ailleurs : "L’appareil m’a forcé à regarder".
Raymond Depardon commence comme apprenti dans une boutique de photographie de Villefranche-sur-Saône tout en suivant des cours de photographie par correspondance et en installant son laboratoire dans la ferme de ses parents. Il travaille avec Louis Foucherand jusqu’ à ce que celui-ci crée avec Louis Delmas une agence dans laquelle il "pige". Sa carrière de photographe démarre dans le Sahara alors que sept appelés du contingent, partis chasser la gazelle, se perdent dans le désert. Quatre périssent et lui prend une photo des trois survivants qui sera publiée dans Paris Match : "Je ne crois pas que je tremblais mais je sentais qu’il fallait que je la fasse." Dès lors, se dessine son envie de voyages, de faire des films, d’apporter son regard sur le monde.
Finalement peut-être que c’est ma chance aussi de prendre la photo comme étant un moyen de continuer (…) de ne pas me limiter, d’aller toujours plus loin (…) Je savais que je voulais être aussi cinéaste.
Raymond Depardonà franceinfo
1974, Giscard et Mitterrand
A la fin des années 60, Raymond Depardon, désormais photographe, commence à tourner des films documentaires et c’est à la demande de Valéry Giscard d’Estaing qu’il va le suivre dans sa campagne pour l'élection présidentielle : le film qu'il en tire, 1974, une campagne électorale, sera recalé par le principal intéressé, devenu président de la République, puis interdit de diffusion en 1979 et ne sortira qu’en 2002 avec son autorisation. Il avoue en avoir été "très malheureux" et s’être posé beaucoup de questions sur le pourquoi. Il raconte qu’à l’époque même François Mitterrand qui apparaît dans certains plans s’inquiète de ce qui a pu être enregistré : "Mitterrand m'a dit : 'J'espère que vous n’avez pas pris le son'."
C’est une génération qui avait très peur de l’image. On était au début du numérique. Ils n’avaient pas eu autant le temps de se regarder.
Raymond Depardonà franceinfo
Ce qui plaît au cinéaste, c’est aussi de filmer les hommes politiques sans les artifices autour, leur façon d’être. Cette caméra qui entre dans la vie des personnalités capte autre chose que le vernis et peut-être cela dérangeait-il les premiers intéressés, cette part de naturel cachée du regard des autres, réservée au premier cercle. Et il raconte que Valéry Giscard d’Estaing était très sensible aux textes : "Il me disait : 'Est-ce que vous avez filmé mon discours ?' Mais je n’avais pas envie de filmer son discours, moi ce qui m’intéressait c’était la façon qu’il avait de parler".
2012, photographie officielle de François Hollande
Raymond Depardon confie à Elodie Suigo que pour ne pas être impressionné par François Hollande, fraîchement élu président de la République, il s’est rappelé ses origines simples, son parcours : "C’est sûr qu’il faut avoir un bagage, sinon tu trembles".
Ce n’est pas une grande photo mais ce n’est pas non plus une photo inintéressante parce qu’elle représente bien le passage de François Hollande. Il passe comme ça, il va très vite, il marche parce que j’y tenais beaucoup moi à ce qu’il soit en mouvement. Je ne voulais pas qu’il pose.
Raymond Depardonà franceinfo
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