Massilia Sound System : "On chante beaucoup notre Marseille rêvée"
Moussu T, alias Tatou, et DJ Kayalik sont deux des membres fondateurs du groupe de raga occitan, fondé à Marseille en 1984, Massilia Sound System. Un groupe porté aux nues par bon nombre d'aficionados qui a réussi le tour de force de proposer une version provençale du raga jamaïcain, ce qui est un sacré exploit.
À l’occasion des 40 ans du groupe, Massilia Sound System sort un album Anniversari 1984/2024, qui reprend dix de leurs plus grands titres, ainsi que la réédition de quatre albums remastérisés, 3968 CR 13, Oaï E Libertat, Occitanista et Massilia. À cela s’ajoute une tournée avec 26 dates et des festivals, dès le 15 juin.
franceinfo : Dans votre musique, Il y a du folklorique avec des sons indiens, électro, rock, mais il y a surtout de l'engagement. C'est vraiment ce qui définit d'abord Massilia Sound System. Est-ce que je me trompe en disant cela ?
Tatou : C'est naturel. Notre modèle, la musique jamaïcaine, contient déjà tout ça. Elle contient une utilisation du patois, le désir d'être fonctionnel pour la communauté et elle contient l'engagement. Donc nous sommes dans la droite ligne de notre modèle.
Depuis 40 ans, comment est né le groupe alors ? Quel était le but ?
Tatou : Les gens de ma génération ont été biberonnés au rock'n'roll. On lisait Rock&Folk, on voyait les groupes en tournée. Il y avait donc la musique, mais aussi tout ce qui allait avec, c'est-à-dire l'espèce de vie libertaire qu'avaient les musiciens, cette espèce d'envie d'avoir cette vie extraordinaire. Le Sound System nous permettait de faire ça rapidement parce qu'on prenait le disque, on mettait la face B et on racontait nos trucs.
"Comme nos chansons racontaient des choses que tout le monde pouvait voir ou vivre, il y avait tout de suite une proximité avec le public."
Tatou, du groupe Massilia Sound Systemà franceinfo
Souvent, on dit aussi de vous que vous êtes devenu la matrice du rap et du reggae marseillais. Vous y retrouvez dans cette définition ?
DJ Kayalik : Au départ, Akhenaton a accompagné Tatou dans le sound system, c'est né de là. C'est un peu une analogie avec tout ce qui s'est passé à cette époque-là dans le monde. À New York, c'est le DJ Kool Herc, un Jamaïcain qui arrive à New York avec des vinyles et qui met les faces B. Le rap est né comme ça. Ça a été un peu la même chose, et de mon œil, moi qui n'étais pas acteur à ce moment-là, je le voyais arriver. J'étais au conservatoire, je jouais de la guitare, je l'ai vendue et j'ai acheté des platines en me disant : là, je vais pouvoir faire de la musique directement, concrètement.
Vous racontez clairement les choses, ce que vous vivez, on est vraiment dans le réel, mais en même temps, il y a aussi un peu d'imaginaire dans la création. C'est l'équilibre nécessaire ?
DJ Kayalik : Oui, il y a beaucoup d'imagination. En fait, on chante beaucoup notre Marseille rêvée. Ce n'est pas souvent la réalité, mais c'est ce dont on rêve. Parfois, on a du mal parce que c'est quand même difficile. Marseille est très difficile. On le dit dans une chanson du dernier album Sale caractère. Le morceau s'appelle Marseille est à la rue et c'est exactement ça. C'est qu'il n'y a plus rien et tout ce qu'on a raconté. Tout ce qu'on a fait pour que ça aille bien, tout ce qu'on a un peu inventé avec les gens qu'on a réuni autour de nous pour faire avancer les choses, pour que le vivre ensemble soit encore meilleur, ça n'existe presque plus. Pour nous, c'est dur. On adore Marseille, mais on ne cesse de la critiquer tous les jours, on n'arrête pas.
Ça vous touche personnellement aussi ?
Tatou : Ce qui me touche surtout, c'est que la fondation de Marseille repose sur Protis, un marin grec, qui arrive et tombe amoureux d'une autochtone, la princesse Gyptis. Cette union fonde une ville. On est fondé sur un mythe d'amour entre quelqu'un qui vient de loin et quelqu'un qui est là. On devrait exporter ce mythe parce qu'il est intéressant. Après, dans un monde où l'argent et la réussite semblent faciles, comme on peut le voir à la télévision, quelque part c'est normal que les minots, comme on dit, que les jeunes, tombent là-dedans.
Vous avez toujours défendu la langue occitane, une langue qui chante. C'est important ?
Tatou : Ce qui est intéressant, c'est qu'on ne méprise pas les cultures. Toutes les cultures, même la plus petite, ont la même importance.
"Toutes les langues sont souriantes."
Tatou, du groupe Massilia Sound Systemà franceinfo
Quand je parle provençal, je suis dans une sorte de zone libérée, dans un truc qui a moins de prise par rapport à l'État et ça me rend un peu plus libre. Mais on ne l'a jamais fait comme un truc de nationalisme. Non, avoir deux cultures, c'était déjà de pouvoir plus facilement en comprendre une troisième, une quatrième. C’est une ouverture. On s'est aperçu dans Massilia que quand on passait les frontières et qu'on allait dans le monde, ce truc nous permettait de comprendre, de mieux appréhender les choses complexes, plus que si on avait été des franco-français quelque part.
On peut retrouver Massilia Sound System, entre autres dates, le 15 juin au festival La rue des artistes à Saint-Chamond, le 30 juin au festival Garorock à Marmande, le 12 juillet au festival de Poupet à Saint-Malo-du-Bois ou encore le 26 juillet à Sète.
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