Patrick Timsit à l’affiche du film "Tombés du camion" : "J'ai réalisé ce qui m'était arrivé avec le conflit ukrainien"
Cela fait cinq décennies ou presque que Patrick Timsit nous accompagne en tant qu'acteur, réalisateur, humoriste et scénariste. Depuis l'atelier de maroquinerie de ses parents, il rêvait déjà de raconter des histoires et surtout de les partager. Avec ses premiers one man shows, c'est son ton corrosif et ce rôle de méchant, uniquement sur scène, qui lui ont valu de sortir du lot. Il est indissociable des films Un Indien dans la ville d'Hervé Palud (1994) ou encore Pédale Douce de Gabriel Aghion (1996).
Ce mercredi 28 février, il est à l'affiche du film Tombés du camion, de Philippe Pollet-Villard, issu de son propre roman qui s'intitule Le naufrage de Stanislas (Flammarion). C'est l'histoire d'un marin pêcheur qui voit le moteur de son chalutier lâché. C'est tout ce qu'il lui reste pour vivre, il va lutter pour pouvoir remettre son bateau à flot et finalement, il va se lancer dans une aventure qui n'est pas forcément très avouable.
franceinfo : Tombés du camion est vraiment une ode romanesque. C'est tourné vers les gens ordinaires qui n'en sont pas réellement. Est-ce que c'est ce qui vous a intéressé dans ce film ?
Patrick Timsit : C'est exactement ça. Ce sont vraiment des gens ordinaires, des héros ordinaires. Ce bateau, c'est son père qui l'a construit, il avait déjà fait traverser des résistants pendant la guerre. Et lui, marin pêcheur, il travaille tous les jours pour sa famille et a raté l'éducation avec ses fils, et donc ça ne passe pas avec eux.
"Mon personnage Stan est vraiment quelqu'un qui s'est battu pour sa famille et qui n'a jamais pu l'exprimer parce qu'il n'a pas les mots. J'ai connu ça avec mon père qui était de cette génération. On ne dit pas : ’Je t'aime’."
Patrick Timsità franceinfo
Vous parlez de votre père. Effectivement, il y a une caisse de résonance qui est extraordinaire avec votre histoire familiale. Vous avez grandi dans cette maroquinerie du côté de Barbès. Votre maman vous interdisait d'aller au square.
C'était place de la République, à Paris. Mais c'est encore mieux, c'est ma mère qui tenait la maroquinerie toute seule, boulevard Barbès. Alors, qu'on ne vienne pas me dire : Juif, Arabe et tout ça, elle était toute seule à Château Rouge, dans ce quartier réputé violent.
Votre père a dû quitter Alger parce qu'une bombe a sauté pas très loin de vous.
Ils ont fait sauter la caserne d'en face et mon père a dit à ma mère : "On a une heure pour faire les bagages, on part".
C'est aussi là-dessus que ça vous parle, ce regard de tolérance, d'indulgence, de se poser davantage la question de pourquoi les gens partent de chez eux ?
C'est incroyable. J'ai réalisé ce qui m'était arrivé avec le conflit ukrainien. C'est quand j'ai vu ces gens que je me suis dit : mais c'est ce qui m'est arrivé. C'est ainsi que mon père est parti. C'est comme ça qu'on est tous partis, qu'on a cherché dans quelle ville du monde s'installer. On a été élevé comme ça. On n'était pas chez nous, il fallait se faire discret et toutes ces choses qui révoltent mon personnage.
Le théâtre a été votre point d'ancrage et vous a finalement permis d'évacuer vos émotions et vos sentiments. Quand on a un papa taiseux qui n'évoque pas ses sentiments, j'imagine que c'est difficile en tant que fils.
On a été fâchés. On ose le dire parce qu'on est réconciliés. Mais on a été très fâchés parce qu'il avait peur. C'est quand j'ai compris que c'était juste la peur et que ce n'est pas plus que ça... C'est violent, ça s'exprime d'une façon... Parfois, il ne mâche pas ses mots, ni ses gestes, mais c'était juste la peur. Et quand on comprend ça et quand on comprend qu'il s'en veut... La colère, c'est de la motivation, des sujets qui étaient sur scène parce qu'étant élevé comme ça, avec cette nourriture, tout ce qui m'a imprégné... Mais le rendez-vous, c'était faire rire.
Vous avez donné vos dernières représentations sur scène en décembre 2023. Comment fait-on pour vivre sans elle ? Vous qui êtes né et avez grandi sur scène.
On consulte des médecins, je vous jure, on affole tout le monde, on affole son entourage et puis on n'a rien, ils ne trouvent rien. Mais moi, je sais ce que j'ai, j'ai le manque de scène, certainement.
Et c'est étonnant d'ailleurs parce qu'on s'est vu à ce moment-là et vous étiez arc-bouté en me disant : "Non c'est bon, ça va bien se passer".
Mais ça va bien ! Ça s'est super bien passé. Les gens ne sortaient plus, on allumait la salle, les gens ne sortaient pas. Ils attendaient, ils attendaient, ils me criaient dessus. Ça ne pouvait donc pas mieux se passer puisque cela se passait dans l'arrachement.
"Arrêter la scène, c'est vraiment comme la séparation d'amoureux. C'est un train qui s'éloigne avec un des deux qui reste sur le quai."
Patrick Timsità franceinfo
Pour terminer, est-ce que le petit garçon que vous étiez, et qui vendait sa première paire de chaussures à quatre ans, est fier de l'homme qu'il est devenu ?
Il rêve d'être un homme. Certains disent : "Oh, ce petit garçon !" Mais moi, je voudrais parfois m'en débarrasser. Je n'arrive pas. J'aimerais être plus homme. Je suis responsable. Je suis un petit garçon responsable. Alors voilà le petit garçon est fier d'avoir quelques valeurs.
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