"Toutes les familles au Portugal ont été touchées par la Grande Guerre" : José Rodrigues dos Santos publie son roman "Oubliés" en France
José Rodrigues dos Santos est journaliste, présentateur vedette du journal de 20 heures au Portugal et a été reporter de guerre pendant plus de 25 ans. Il est également écrivain avec en tête de ses succès La formule de Dieu et la saga de Tomás Noronha traduite en 18 langues. Aujourd'hui, il publie en France Oubliés aux éditions Hervé Chopin, déjà paru il y a 20 ans au Portugal. C'est l'histoire d'Afonso et à travers lui, de figures très emblématiques de soldats portugais qui ont été totalement délaissées, dans les tranchées de Flandres pendant la Première Guerre mondiale.
franceinfo : C'est plus qu'un roman historique, c'est aussi un énorme hommage, une énorme déclaration d'amour que vous faites à vos deux grands-pères. D'un côté, le grand-père maternel, le caporal Raul Compostetinho, mort gazé pendant la guerre, et votre grand-père paternel, le capitaine José Rodrigues dos Santos. C'était aussi une façon de restituer la vraie histoire, de raconter votre propre histoire ?
José Rodrigues dos Santos : Il y a un petit peu de ça, et en même temps, c'est plus que ça. Toutes les familles au Portugal ont été touchées par la Grande Guerre, car tout le monde a quelqu'un de sa famille qui y était. Et ce qui est étrange, c'est que mon bouquin, qui a été publié originalement en 2004, il y a 20 ans, fut le premier roman jamais publié au Portugal sur la Grande Guerre. C'est vraiment un sujet oublié alors que c'est un événement énorme qui a touché toutes les familles. Toutefois, on n'en parlait pas. Et c'est toute une histoire humaine qu'il fallait raconter pour rafraîchir les mémoires car elle est ignorée.
"Les Portugais étaient dans la Grande Guerre et ici, les gens ne le savent pas. Ils ont joué un rôle dans la conclusion de celle-ci avec la bataille du 9 avril 1918."
José Rodrigues dos Santosà franceinfo
Il y a un côté À l'Ouest, rien de nouveau d'Erich Maria Remarque, c'est-à-dire que vous nous offrez l'opportunité de nous mettre à la place du soldat. Vous racontez que c'est très difficile pour un soldat de vivre avec les lettres des civils qui sont à plusieurs dizaines de kilomètres, voire des centaines de kilomètres du champ de bataille. C'est très difficile de raconter tant qu'on n'est pas sur le champ de bataille et donc au front, ce qui se passe vraiment.
Oui, parce que tout le monde parle des héros, d'héroïsme, du courage, mais ça n'existe pas quand on est dans la bataille. J'e suis allé sur des champs de bataille en tant que reporter de guerre et on voit que ce n'est pas une question de courage. Quand on parle de courage, ce sont des images qu'on a créées avec le cinéma. La guerre est tout à fait différente, beaucoup plus horrible. Souvent, les gens me demandent : "Mais vous allez là où il y a la guerre, vous allez en Ukraine, vous aimez ça ? Vous n'avez pas peur ?" Mais si j'ai très peur, seulement un fou ou un inconscient n'a pas peur d'une chose pareille. Les soldats de la Grande Guerre parlaient de ça. Il n'y a pas d'héroïsme, il n'y a pas de courage.
Quand on regarde bien, Afonso savait que la vie était un long fleuve incertain, un théâtre d'illusions. Vous écrivez : "un double jeu de miroirs, mais pour lui, tout a toujours eu un sens". C'est un peu vous ?
Oui, en effet. J'ai relu le livre 20 ans plus tard et j'ai remarqué que tous les sujets de mon œuvre sont déjà présents dans ce livre-là. William Somerset Maugham, le grand écrivain britannique né à Paris, a justement dit un jour : "Tous les écrivains racontent la même histoire". Et quand j'ai lu cette phrase, je me suis demandé : mais quelle est l'histoire que je raconte dans chacun de mes romans ? Et en effet, c'est une quête du sens de la vie et on la trouve dans les tranchées dans Oubliés, mais aussi dans tous les autres romans, La formule de Dieu, Immortel, Furie divine, L'Ultime Secret du Christ, Spinoza, l'homme qui a tué Dieu.
"Dans chacun de mes romans, je touche au même sujet : la quête de savoir pourquoi nous existons, quel est le sens de notre existence."
José Rodrigues dos Santosà franceinfo
Est-ce que l'écriture est un besoin vital ?
Pour moi, écrire et je pense que pour tous les journalistes, c'est comme respirer, c'est une chose naturelle. Alors quand les gens disent : "Oh, écrire, c'est difficile", mais je ne comprends pas pourquoi, parce qu'évidemment je suis habitué, ça fait partie de ma vie. Et alors, je n'imagine pas ma vie sans écrire et sans lire. Ce sont des choses qui sont liées et c'est vraiment comme l'air qu'on respire.
Ce livre se termine dix ans après 1918. Afonso a grandi. Il pense à tous ceux qu'il a vu mourir, notamment ses compagnons de route. Il est persuadé que le rêve lui permet de continuer à communiquer avec l'au-delà. Est-ce que c'est quelque chose que vous ressentez ? Est-ce que le rêve sert aussi à ça ?
Oui, le rêve, c'est l'illusion. Je me souviens d’un jour avec José Saramago, l'écrivain portugais qui a gagné le prix Nobel, et on parlait de la fin des romans. Et il m'a dit : "Bon, mes romans ne finissent jamais très bien", ce qui est aussi le cas avec le mien, "vous savez pourquoi ? Parce que la vie ne se termine jamais bien, elle se termine avec notre décès". Et c'est ça, la vie ne se termine jamais d'une jolie façon et nous avons besoin du rêve pour oublier ça.
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