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Covid-19 : les pays pauvres auront-ils vraiment accès au vaccin ?

Les pays les plus pauvres seront-ils les derniers à être vaccinés contre le coronavirus ? Les dirigeants du G20 se sont engagés ce week-end à tout faire pour une répartition équitable. Dans les faits... c'est moins sûr.

Article rédigé par franceinfo, Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Une patiente atteinte du Covid-19 dans un hôpital de Dakar, au Sénégal. Photo d'illustration. (SADAK SOUICI / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Les pays les plus riches, qui ont voulu être servis en premier, ont précommandé des millions de doses de vaccin aux différents laboratoires - avant même de savoir si les vaccins allaient aboutir.

Le même scénario qu'en 2009 pour le H1N1

Un exemple : Pfizer et BioNTech, les laboratoires qui font la course en tête, annoncent la production d'environ 1,3 milliard de doses. Sur ce total 1,1 milliard de doses sont déjà réservées par les pays riches. Ce qu'il reste pour les autres ? À peine 15% de la production. Exactement le même scénario qu'en 2009, quand les pays riches avaient réservé les premiers vaccins contre la grippe H1N1.

Les ONG comme Oxfam s'en inquiètent, et – ce n'est pas le moindre des paradoxes – les pays du G20 ont beau alimenter ce "nationalisme vaccinal" dénoncé par l'ONU, ça ne les empêche pas de dire en même temps haut et fort que le vaccin est "un bien public mondial", qu'il faut sans attendre "le partager" avec les plus pauvres. C'est ce qu'a répété notamment Angela Merkel dimanche 22 novembre, se disant "inquiète que rien n'ait été encore fait" concrètement pour assurer la vaccination dans les pays pauvres, comme l'avaient fait avant elle la présidente de la Commission européenne ou Emanuel Macron.

Le Covax, pour une répartition plus équitable

Un dispositif pourtant existe pour une répartition équitable : c'est ce qu'on appelle le Covax, mis sur pied au mois d'avril par l'Organisation mondiale de la santé et l'alliance pour les vaccins Gavi.

Le Covax est une coalition qui rassemble 184 pays mais aussi des fondations privées, comme la fondation Bill et Melinda Gates. Le principe est simple : les plus riches mettent au pot ! L'Union européenne, l'un des principaux donateurs, s'est engagée à verser 500 millions d'euros, sous forme de subventions et de garanties bancaires. Les États eux aussi mettent la main à la poche : la France a promis 100 millions d'euros, l'Espagne 50 millions, la Finlande 2 millions, etc.

Acheter 2 milliards de doses

L'objectif est d'acheter 2 milliards de doses, pour les distribuer aux pays qui n'ont pas les moyens de signer des contrats avec les laboratoires. Il y a aussi un problème de coût : le vaccin de Pfizer et BioNTech vaut environ 40 dollars pour deux injections. Il faut pouvoir le financer.

"Plus le nombre de pays négociant ensemble sera important, plus notre pouvoir d’achat sera élevé et plus le prix sera intéressant" plaide le Dr Richard Hatchett, PDG de la Coalition pour l'innovation en matière de préparation aux épidémies (Cepi).

On parle de nombreux Etats africains, mais aussi de pays comme le Cambodge, Haïti ou le Honduras. Or, avec 2 milliards de doses, on permet à ces pays de vacciner 20% de leur population, en ciblant en priorité le personnel soignant. Mais on en est loin. Pour atteindre ce chiffre, il manque 4 milliards d'euros dans les caisses du Covax.

Le Canada va donner ses surplus de vaccins

Tous les pays ne jouent pas le jeu : les États-Unis de Donald Trump, qui ont pourtant signé des contrats garantissant au moins 800 millions de doses auprès de six fabricants, pour 330 millions d’habitants, refusent de rejoindre le collectif. Ils ne veulent pas de "contraintes" de la part d’organisations multilatérales "influencées par une Organisation mondiale de la Santé corrompue" et "par la Chine"...

D'autres en revanche prennent les devants : le Canada, par exemple, est prêt à écouler son surplus de vaccins aux pays pauvres. Et des surplus, il y en aura : le pays a passé des contrats avec sept entreprises différentes. Si les sept vaccins étaient approuvés et mis sur le marché (ce qui est peu probable), cela veut dire que le Canada disposerait de plus de 400 millions de doses pour 38 millions d'habitants ! De quoi vacciner cinq fois chaque citoyen...

D'autres pays qui ont précommandé, comme le Japon et la Grande-Bretagne, font partie de Covax : au moins certaines doses atteindront des pays moins développés grâce à leurs accords d’achat.

Des difficultés logistiques

Même si cette question d'accès au vaccin est résolue, des difficultés logistiques attendent les pays les moins développés. Ce vaccin est basé sur une nouvelle technologie (dite de l’ARN messager), ça le rend fragile: il doit être stocké à -70°C, alors que la plupart des congélateurs dans la plupart des hôpitaux du monde sont à -20°C. Il faut de l'investissement, de la formation.

Pfizer et certains gouvernements préparent un protocole de livraison depuis des mois, mais "rien de tout cela n’a eu lieu dans les pays à revenus faibles ou intermédiaires", dit Rachel Silverman, chargée de mission au Center for Global Development. Des chercheurs de l’université Northeastern (États-Unis) ont récemment publié une étude sur le lien entre l’accès au vaccin et la mortalité du Covid-19. Ils ont modélisé deux scénarios.

Dans le premier, si 50 pays riches monopolisent les deux premiers milliards de doses de vaccin, les décès dans le mode sont réduits d’un tiers seulement.
Dans le second, si en revanche le vaccin est distribué en fonction de la population d’un pays plutôt que de sa capacité à le payer, cette baisse atteint... 61%.

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