Egypte : un troisième mandat qui s'annonce mouvementé pour al-Sissi
Gaza est sa première préoccupation. Le président égyptien, reconduit lundi 18 décembre dans sa fonction pour la troisième fois, l'évoque dans l'intervention télévisée qui suit sa victoire : " Cette guerre doit prendre fin", dit Abdel Fattah al-Sissi, " en raison de la grave menace qu'elle fait peser sur la sécurité de l'Égypte et des souffrances indicibles qu'elle cause aux Palestiniens".
L'Égypte, qui a des liens historiques forts avec chacun des deux camps, s'est imposée depuis le 7 octobre comme intermédiaire indispensable. Elle a facilité les négociations pour la libération des otages, convoqué en octobre un Sommet international pour la paix, laissé passer l'aide humanitaire... Des tonnes d'aide alimentaire et médicale venues du monde entier sont stockées à El-Arich, chef-lieu du Sinaï égyptien, frontalier de Gaza.
Mais si le président s'implique autant, c'est aussi parce qu'il veut limiter l'impact du conflit sur son pays. Il sait que la question palestinienne est un sujet hautement inflammable.Le 20 octobre, une manifestation qui a atteint la place Tahrir, le cœur de la révolution de 2011, a été rapidement dispersée et certains des manifestants ont été arrêtés.
Il craint aussi de voir les centaines de milliers de Gazaouis poussés vers le sud du territoire tenter de franchir le point de passage de Rafah pour se mettre à l'abri côté égyptien et avec eux, des membres du Hamas créé dans le sillage des Frères musulmans, sa bête noire depuis dix ans (al-Sissi est venu au pouvoir en renversant leur président, Mohamed Morsi).
Un pays en chute libre depuis 10 ans
Depuis le printemps l'Égypte a déjà accueilli plus de 300 000 Soudanais ayant fui la guerre civile et craint d'être destabilisée par l'arrivée de nouveaux réfugiés. D'autant que la guerre a déjà un impact sur l'économie : l es attaques contre les cargos en mer Rouge vont réduire le trafic maritime, donc mécaniquement faire baisser les recettes du péage au Canal de Suez (7 milliards d’euros l'an dernier).
En octobre, par prévention, Israël a suspendu ses exportations de gaz vers l'Égypte de crainte que ses plateformes ne soient frappées à Gaza ou au Liban. Cela a entraîné des coupures d'électricité dans tout le pays, jusqu'à quatre heures par jour. Ça non plus, les Égyptiens n'en avaient pas besoin : le pays vit sa pire crise économique depuis des décennies.
Pourtant dès son premier mandat, en 2014, Al-Sissi a promis la stabilité économique. Un ambitieux - mais douloureux - programme de réformes, avec dévaluations et diminution des subventions d'État, a été mis en place depuis 2016. Des mesures qui n'ont fait qu'entraîner une flambée des prix et vu la base populaire du président s'étioler au fil des ans. L a valeur de la Livre égyptienne a été divisée par deux, la dette multipliée par trois. Les prix des aliments de base augmentent chaque semaine, l’inflation dépasse les 36 %.
Aujourd'hui les deux tiers de la population, muselés par un régime autoritaire, vivent soit en dessous soit juste au-dessus du seuil de pauvreté. Mais Al-Sissi refuse de réduire les dépenses de l'État ou les mégaprojets confiés à l'armée.
Vladimir Poutine a beau saluer la victoire " convaincante" de son homologue égyptien, " preuve évidente", selon le président russe, " de la reconnaissance globale de (ses) mérites dans la résolution des tâches socio-économiques et de politiques étrangères en Égypte", l e mécontentement populaire croît de jour en jour dans une société au bord de l'explosion. Sa victoire sans opposition ne lui offre qu'une légitimité de façade qui ne suffira peut-être plus à le protéger.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.