En Chine, condamnée à 4 ans de prison pour avoir documenté l'épidémie de coronavirus
C'est la toute première condamnation d'un lanceur d'alerte sur l'épidémie : en Chine, une citoyenne-journaliste vient d'être condamnée à 4 ans de prison pour avoir documenté la réalité du coronavirus dans la ville de Wuhan.
Elle s'appelle Zhang Zhan, elle a 37 ans, elle vient de Shanghai.
C'est une ancienne avocate, idéaliste et obstinée selon ses proches, qui est devenue lanceuse d'alerte pour documenter la vérité face aux dissimulations des autorités sur l'épidémie.
Arrêtée en mai dernier, formellement inculpée en novembre, après six mois de détention, elle vient d'être condamnée, trois heures à peine après le début de son procès, à 4 ans de prison pour « provocation aux troubles", des termes régulièrement utilisés en Chine contre les opposants.
Jugement à huis clos
Le jugement a été prononcé à huis clos. Des journalistes mais aussi des diplomates étrangers et des partisans de Zhang Zhan qui ont essayé d'entrer dans le tribunal ont été repoussés par la police.
Heavy security as Chinese citizen journalist jailed for 4 years for reporting on Wuhan virus.
— AFP News Agency (@AFP) December 28, 2020
Zhang Zhan's live reports were widely shared on social media in Februaryhttps://t.co/wnuAD2P6wc
Police try to block journalists outside the Shanghai court where Zhang was on trial pic.twitter.com/Wmd7aDMA8E
Le procureur avait recommandé la peine maximale, en invoquant la récidive : en 2019, la lanceuse d'alerte avait déjà été arrêtée pour avoir manifesté son soutien aux militants pro-démocratie de Hong Kong. Ce qui lui avait valu deux mois de détention, avec examens psychiatriques.
Des vidéos sur Youtube
En février 2020, Zhang Zhan se rend dans la ville de Wuhan, qui est alors en quarantaine et l'épicentre de l’épidémie de Covid-19. Avec son téléphone portable, elle filme ce qu'elle voit : la gare, complètement déserte. La situation chaotique dans les couloirs d'un hôpital. Un centre de santé communautaire où un homme lui dit avoir payé un test de dépistage pourtant censé être gratuit.
Video of #ZhangZhan
— 洞物员DongWuyuan Zoo (@Horror_Zoo) December 28, 2020
A citizen journalist , who reported about the coronavirus from Wuhan during the lockdown, was sentenced to four years in jail under the crime of "picking quarrels and provoking troubles” today .
pic.twitter.com/Pgtw7v0Crr
Début mars, le Parti communiste suggère d'imposer aux habitants une "éducation à la gratitude" pour qu'ils puissent remercier comme il se doit les efforts du gouvernement face à l'épidémie ? Zhang Zhan parcourt les rues et demande aux passants s'ils se sentent vraiment reconnaissants.
Ses vidéos sont tournées dans l'urgence : les images sont tremblantes, mal cadrées, rarement montées. Zhang Zhan les diffuse sur les réseaux sociaux chinois et étrangers, dont Twitter et YouTube, interdits en Chine.
Elle écrit aussi des articles qui critiquent les autorités, la censure des journalistes indépendants, le harcèlement de certaines familles de victimes.
Nourrie de force en prison
Les autorités l'accusent d'avoir propagé une grande quantité de fausses informations mais aussi d'avoir accepté des interviews avec les médias étrangers Radio Free Asia et Epoch Times.
Zhang Zhan, qui refuse de plaider coupable, assure qu'elle n'a pas "fabriqué" des informations sur la pandémie et que tout ce qu'elle a rapporté, elle l'a appris de première main.
Pendant sa détention, en signe de protestation, elle tente de suivre une grève de la faim mais elle est nourrie de force par un tube qu'on lui passe dans le nez en lui attachant les mains pour qu'elle ne puisse pas l'enlever. Selon l'un de ses avocats, son état de santé physique et psychologique est "préoccupant".
Paranoïa des autorités ?
Médecins, lanceurs d'alerte, enquêteurs amateurs, journalistes : toutes les voix critiques qui ont pointé du doigt les faux pas des autorités et tenté de faire évoluer la Chine vers l’Etat de droit ont été censurées.
Au moins une demi-douzaine de personnes qui ont tenté de documenter le confinement de Wuhan ont été arrêtés.
Certains sont toujours en résidence surveillée et ne s'expriment plus publiquement.
Trois jeunes notament qui avaient commencé à archiver sur un système hébergé à l’étranger, tous les contenus supprimés d'internet par la censure ont été mis au secret pendant cinquante-cinq jours, avant d’être formellement inculpés là encore pour avoir « provoqué des troubles ». Ils sont en attente de leur procès...
Cette vague de répression révèle la paranoïa des autorités chinoises et leur vigilance vis-à-vis de toute version non conforme à la vérité officielle, alors que le pouvoir célèbre le succès de sa lutte contre l'épidémie.
Cette image circule sur les réseaux spéciaux chinois malgré la menace de censure : c’est que je veux dire aujourd’hui au tribunal qui a prononcé le verdict sur #ZhangZhan. pic.twitter.com/2U2sKsWAZK
— Zhulin Zhang (@ZhangZhulin) December 28, 2020
Ces derniers mois, le Parti communiste s'est lancé à marche forcée dans une réécriture l'histoire, pour reprendre la main sur le récit de l'épidémie, faire oublier à la fois que le virus est apparu à Wuhan et que les autorités ont tenté de le dissimuler.
Une victoire "extrêmement extraordinaire"
Des centaines de journalistes des médias d'État ont été déployés dans la ville et le président Xi Jinping a ordonné aux fonctionnaires de "renforcer l'orientation de l'opinion publique".
Wuhan est ainsi devenue la victime héroïque du coronavirus et les autorités se posent en grands vainqueurs : l'épidémie est maîtrisée. Officiellement, la Chine comptabilise moins de 5 000 morts (dont plus de 80% ont eu lieu à Whuan, 11 millions d'habitants).
Vendredi soir, les dirigeants du PCC se sont même félicités d'une "victoire glorieuse extrêmement extraordinaire" sur le virus... Difficile de faire plus emphatique, alors qu'une équipe de l'OMS est attendue début janvier en Chine pour faire le point sur les origines de l'épidémie.
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