État d'urgence prolongé, marche sur Lima... Pourquoi le Pérou s'enfonce dans une crise multiforme
Des milliers de manifestants convergent lundi 16 janvier vers la capitale Lima, où l'état d'urgence vient d'être prolongé de 30 jours. La répression policière a fait au moins 42 morts depuis le début de la contestation, déclenchée après la destitution et l'arrestation du président de gauche Pedro Castillo.
Il avait été élu avec 19% des voix au premier tour, et avec seulement 50 000 voix d'avance au second. Président depuis le 6 juin 2021, porteur alors des espoirs de la population amérindienne déshéritée, Pedro Castillo, ancien instituteur issu d'une famille pauvre, a échoué et il a peut-être même fauté. Soupçonné dans six affaires de corruption, l'ex-président est accusé d'avoir tenté un coup d'État en voulant dissoudre le Parlement qui s'apprêtait à le chasser du pouvoir.
Cinq semaines plus tard, les manifestants ne réclament pas nécessairement son retour, mais ils veulent le départ de celle qui lui a succédé, son ancienne alliée et vice-présidente Dina Boluarte, ralliée à l'opposition de droite. Les manifestants voient en elle une "traîtresse". Ils réclament aussi la dissolution du Congrès, tout-puissant au Pérou, et de nouvelles élections.
"Usage excessif de la force"
La première de leurs revendications est l'arrêt des violences policières. Au moins 42 manifestants sont morts depuis le début des barrages routiers et manifestations. La Commission interaméricaine des droits de l'homme (CIDH), qui a achevé vendredi 13 janvier une mission d'inspection au Pérou, a requis une enquête impartiale sur la répression des manifestations, estimant que des indices pointaient vers un "usage excessif de la force". Et Dina Boluarte fait l'objet d'une enquête préliminaire pour "génocide".
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Dans cette crise, deux pays s'affrontent. D'un côté, les campagnes andines du Sud-Est, pauvres et marginalisées, de l'autre, les puissantes élites de Lima, héritières des grands propriétaires terriens, jalouses de leur pouvoir. Ce scénario - qui en rappelle d'autres en Amérique du Sud - peut paraître simpliste, pourtant le racisme et le mépris de classe expliquent en grande partie le confit actuel. La classe dominante traite aujourd'hui de "vandales" et de "terroristes" les Amérindiens des Andes qui manifestent. Cette dernière accusation est courante au Pérou, elle permet aux conservateurs de discréditer leurs adversaires de gauche, en les assimilant au Sentier lumineux, groupe armé maoïste de sinistre mémoire qui a semé la mort et le chaos dans les années 80 et 90.
Crise politique permanente, corruption endémique
Ce mépris de classe prospère sur les inégalités sociales, très fortes dans ce pays de 33 millions d'habitants qui vit pourtant une croissance spectaculaire depuis vingt ans, grâce notamment à ses sols et à ses métaux rares, cuivre, or, argent et zinc. Mais les privatisations et la dérégulation de l'économie, lancés par l'autocrate Alberto Fujimori dans les années 90, ont anéanti les services publics et les droits sociaux et la pandémie de Covid-19 a encore accru cette fracture. La mortalité par habitant au Pérou est parmi les plus élevées au monde. Aujourd'hui, près d'un Péruvien sur quatre vit sous le seuil de pauvreté et l'insécurité alimentaire frappe la moitié de la population.
Avec sept motions de censure et six présidents en cinq ans, l'instabilité politique est la règle dans un pays où le Congrès peut démettre un chef d'Etat quasiment sans motif. Une majorité des deux tiers suffit à appliquer un article constitutionnel controversé qui autorise la révocation d’un président pour "incapacité morale permanente". Cette précarité du système est institutionnalisée par la Constitution de 1993, héritage du Fujimorisme, dont les manifestants veulent se débarrasser, à l'image du processus engagé au Chili.
Les observateurs sont par ailleurs unanimes pour dénoncer l'affairisme et la médiocrité du personnel politique péruvien, sans oublier l'influence du narcotrafic et - surtout - la corruption généralisée : tous les présidents de ces trente-deux dernières années, à l'exception de deux d'entre eux, sont soit en prison, soit mis en examen pour corruption.
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