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Royaume-Uni : l'expulsion des migrants vers le Rwanda toujours au programme

Pour enrayer les traversées clandestines qui se multiplient, Londres envisage une mesure polémique, défendue par la future première ministre : le renvoi au Rwanda des demandeurs d'asile. 

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
La Border Force et l'armée escortent des migrants à terre aux Dover Docks à Douvres, au Royaume-Uni, le 13 juin 2022. (STUART BROCK / ANADOLU AGENCY)

Tout homme célibataire arrivé de manière illégale sur le sol britannique est susceptible d'être renvoyé au Rwanda en aller simple, quelque soit son histoire et sa nationalité. C'est donc 6 000 kilomètres plus au sud, en Afrique, qu'il lui faudra refaire sa vie, si sa demande d'asile est acceptée.

En échange de ce service, Londres a signé à Kigali un gros chèque de 140 millions d'euros. Somme conséquente pour un pays où, selon la Banque mondiale, la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté se situe juste en dessous de 40 %. Voilà, dans les grandes lignes, le contenu de cette mesure annoncée en avril dernier par le gouvernement.

La Haute Cour de justice examine la légalité de la mesure

Cette mesure n'est toujours pas appliquée : jusqu'ici personne n'a été expulsé. Les associations de défense des réfugiés qui dénoncent l'amalgame fait entre migration économique et réfugiés ont multiplié les recours. En juin, un premier vol Londres-Kigali a été annulé, décision de la Cour européenne des droits de l'homme, et les migrants sont redescendus de l'avion au dernier moment.

À partir du lundi 5 septembre, c'est la Haute Cour de justice britannique qui examine la légalité de ce projet qui ne semble plaire qu'aux conservateurs... Pour le reste, c'est l'indignation générale. Selon le Times, même le prince Charles en privé s'est dit "consterné" par "l'approche du gouvernement".

Ces derniers jours, la presse relaie des témoignages de migrants terrifiés. The Guardian rapporte que l'un de ceux qui a failli partir en juin s'est auto-mutilé, un autre a menacé de se suicider. Le journal renvoie ver un rapport de l’association de médecins Medical Justice qui confirme que la menace d’une expulsion au Rwanda augmente le risque de suicide pour les demandeurs d’asile. 

Le Rwanda, roi de la sous-traitance migratoire

Le Rwanda, pays lui-même marqué par la guerre civile et l'exil, s'est positionné depuis quelques années sur le créneau de la sous-traitant des réfugiés pour les pays occidentaux – ce que les ONG appellent "l'externalisation de l'asile", tendance lourde notamment depuis 2015, année de la crise des migrants en Europe. Kigali promet de les intégrer à son système éducatif, de leur proposer du travail. Son économie en pleine croissance le lui permet. 

Le Rwanda est d'ailleurs en discussion avec le Danemark pour mettre en place la même procédure. Une façon pour le président Kagamé de gagner en notoriété et en légitimité sur le plan international. 

Sauf que des doutes persistent sur le sort réservé aux réfugiés. En 2013, un accord similaire avec Israël avait été rapidement abandonné quand on avait su que des réfugiés avaient été détenus, d'autres frappés en prison, et, selon les ONG, certains avaient même fini par payer des trafiquant pour quitter le Rwanda.

Rapport sur le respect des droits de l'homme retardé

Plusieurs pays ont récemment exprimé leurs inquiétudes sur la situation des droits de l'homme au Rwanda. Au mois d'août, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a notamment appelé les gouvernements congolais et rwandais à cesser de soutenir les groupes armés dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC). 

Le rapport 2022 du Foreign Office britannique – qui livre l'opinion du Royaume-Uni sur les droits de l'homme dans d'autres pays – accuse justement Kigali de recruter des réfugiés pour ses opérations armées dans les pays voisins. Rapport toujours pas rendu public. Sa sortie a été curieusement retardée par la chef de la diplomatie, Liz Truss, qui n'a pas tellement envie de voir ressortir maintenant des critiques sur le bilan du Rwanda en matière de droits de l'homme (la publication de ce rapport n'a jamais été autant retardée depuis qu'il a été lancé par Robin Cook, alors ministre des affaires étrangères, il y a 21 ans). 

Celle qui devrait aujourd'hui devenir première ministre promet, quoi qu'il en coûte, de mener l'accord à son terme. Liz Truss compte sur son effet dissuasif pour les candidats à la traversée à partir des côtes françaises. Pour l'instant, cela n'a aucun effet. 

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