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Suisse : la victoire des citoyens contre les lobbies du tabac

La Suisse est l'un des derniers pays en Europe à ne pas interdire la publicité pour le tabac à destination des jeunes. Elle va désormais combler ce retard. Ainsi en a décidé une votation populaire dimanche 13 février.

Article rédigé par Isabelle Labeyrie
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Pancarte électorale pour le vote du 13 février 2022 à Lausanne (Suisse). (VALENTIN FLAURAUD / AFP)

Que ce soit sur les réseaux sociaux, dans les magazines, à travers des affiches dans la rues ou les boutiques, au cinéma ou lors de manifestations sportives, les enfants et les ados ne devront plus être exposés à des publicités vantant les mérites du tabac ou du vapotage en Suisse.

En France depuis la loi Evin, c'est une évidence (et depuis trente ans, la législation ne cesse de se renforcer), mais en matière de prévention, la Suisse était la dernière de la classe. L'initiative populaire, soumise à votation dimanche 13 février, baptisée "Oui à la protection des enfants et des jeunes contre la publicité pour le tabac", a finalement été adoptée avec près de 57% des voix

Elle ne règle pas tout : la publicité qui ne cible que les adultes, par mail par exemple, reste autorisée et dans certains cantons, on peut encore vendre du tabac aux mineurs.

Le lobby des cigarettiers

Un résultat de 57% n'est pas non plus une adhésion massive. Mais il faut tenir compte du contexte. Les trois plus grands cigarettiers au monde sont installés en Suisse : premier producteur mondial, Philip Morris a son siège européen à Lausanne. De même que le n°2 , British American Tobacco, tandis que Japan Tobacco International (JTRI) possède, lui, son siège mondial à Genève. A

elles trois, ces multinationales rapportent six milliards d'euros par an de rentrées fiscales et emploient plus de 11000 personnes. C'est pour ces industriels que la législation a toujours été très permissive, pour eux que les autorités ont refusé d'imposer le paquet neutre. Ils sont tellement puissants que même le gouvernement fédéral et le parlement se sont rangés de leur côté en s'opposant à l'interdiction de la publicité sur le tabac. Même si certains cantons avaient déjà durci leurs règles et qu'une nouvelle loi était prévue pour 2023, aux yeux des associations de lutte contre le tabagisme elle n'allait pas assez loin.

Face au lobbies, ce sont finalement les citoyens qui ont gagné. "On est extrêmement contents. Le peuple a quand même compris que la santé est plus importante que les intérêts économiques", a déclaré Stefanie de Borba, de La Ligue contre le cancer. Le fait que leur initiative populaire ait été adoptée, ce qui est plutôt rare, est un vrai changement de paradigme.

Chaque année, 9 500 personnes meurent des suites du tabagisme en Suisse. Rapportée à la population (8,6 millions d’habitants), c'est la même proportion qu'en France. A quoi viennent s’ajouter 400 000 personnes souffrant d’une maladie chronique liée au tabagisme, selon le docteur Jean-Paul Humair, l’une des voix du "oui".

"Dictature du politiquement correct" ?

Le gouvernement encaisse la défaite... "Cela veut dire que pratiquement toute publicité est interdite, y compris pour les adultes. Au nom de la protection des enfants, on infantilise les adultes", a lancé Patrick Eperon, porte-parole de la campagne du "non" et membre de l’organisation Centre patronal.

Un porte-parole de Philip Morris International déclare à l'AFP : "La liberté individuelle est sur une pente glissante". Il exhorte les autorités à s'assurer que la publicité destinée aux adultes reste autorisée. Et les grands cigarettiers continuent de parfaire leur image d'entreprise soucieuse des règles sanitaires...

Certains élus dénoncent quant à eux la tendance hygiéniste et bien-pensante de la société. "On parle aujourd'hui de la cigarette, (demain) ce sera l'alcool, la viande" dit Philippe Bauer, membre du Conseil des États et député du parti Libéral-radical, qui critique également une "dictature du politiquement correct".

Cette initiative populaire ne se traduira pas dans la loi avant l'an prochain, mais dans ce pays qui reste "patrie des multinationales du tabac", les associations veilleront à ce que les dispositions de leur texte ne partent pas en fumée.

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