Les "sugar babies", nouvelle forme de prostitution étudiante ?
Linda (*) a 25 ans, elle est étudiante en master 2 de Lettres à la Sorbonne et loue un studio dans l'est parisien dans lequel elle vit avec ses deux petits chiens. Sa famille ne peut pas l'aider financièrement, alors il y a quatre ans, elle s'est inscrite sur le site seekingarrangement.com dont lui avait parlé une amie.
"La première chose qui m'a poussée à aller sur ce site, c'est le loyer, parce que les loyers sont hors de prix à Paris ", explique la jeune femme. Installée dans son appartement meublé modestement, elle poursuit : "Avec l'emploi du temps que l'on a, on ne peut trouver que des jobs étudiants qui rapportent 500 ou 600 euros maximum. Et ce n'est pas assez, donc parfois, on finit par se dire que l'on va laisser tomber les études parce qu'il faut trouver un boulot à temps complet ".
Linda n'a pas arrêté ses études, et ne compte pas le faire. Avec sept ou huit rendez-vous par mois décrochés via le site, elle estime gagner jusqu'au 3.500 euros. Elle met une partie de cette somme de côté et a ouvert un compte épargne logement.
"Un site de rencontre avec l'argent en plus"
Pour s'inscrire en tant que "sugar baby", il faut se créer un profil avec photo, présentation, mensurations, centres d'intérêt, niveau d'étude, mais aussi le "revenu moyen" que l'on attend des rencontres. En face, c'est la même chose pour les hommes qui, eux, doivent en plus indiquer combien ils gagnent. Contrairement aux jeunes filles, pour qui c'est gratuit, ils payent un abonnement de 42 euros par mois minimum.
La plupart sont avocats ou hommes d'affaires. Ils travaillent souvent à l'étranger et font beaucoup de déplacements. Pour un premier rendez-vous, juste un verre dans un bar, Linda sait qu'on lui glissera une enveloppe d'au moins 300 euros. Parfois ça s'arrête là, parfois il y a d'autres rendez-vous. Linda, elle, a trois "sugar daddies" "réguliers " qu'elle voit depuis longtemps. Ils habitent aux Etats-Unis, au Brésil et à Dubaï et la contactent quand ils viennent à Paris.
Des "bienfaiteurs" qui ne feraient qu'aider des jeunes filles
Elle a des relations sexuelles avec eux, mais elle ne considère pas qu'elle se prostitue : "C'est aussi quelqu'un qui est là pour vous. Ce n'est pas juste quelqu'un qui va vous donner de l'argent et en contrepartie vous allez coucher avec, c'est là qu'est la différence. Si c'était juste ça, ce serait beaucoup moins cher pour eux de trouver une prostituée. Ils savent très bien que c'est pour les études ".
Pour la jeune femme, "c'est la même chose que de donner chaque mois de l'argent à une organisation, sauf que là ils vont aussi avoir une contrepartie bien sûr, mais ...ils vous font comprendre que vous n'êtes pas seule ".
Ces "bienfaiteurs" ne feraient qu'aider des jeunes filles dans le besoin, explique également le site seekingarrangement.com que nous avons contacté. Ses propriétaires démentent favoriser la prostitution étudiante, et rappelle qu'il est officiellement interdit de solliciter des relations sexuelles via leur site.
Des cadeaux de grandes marques au milieu des peluches
Mais il ne faut pas se leurrer tranche Sabrina (). Elle a été escort girl entre 19 et 22 ans et a raconté son expérience dans un livre, Escort, paru l'an dernier chez Grasset. "On a juste échanger le mot 'escort' contre celui de 'sugar baby' mais il n'y a aucune différence ", explique la jeune femme. "Il y a du temps passé, des cadeaux... Il y a toujours les aspects sexuels et financiers qui sont mélangés, donc on reste sur de la prostitution. Ce sont des filles naïves et dans la précarité qui se font avoir, c'est certain* ", ajoute-t-elle.
Dans le studio de Linda, il y a des peluches sur le lit, mais aussi des sacs et des boîtes de grandes marques posés au-dessus de l'armoire. Ce sont quelques-uns des cadeaux des "sugar daddies". "Je vais dans des endroits magnifiques, dans les meilleurs restaurants de Paris, où quand j'arrive on me prend ma veste, on vous accompagne même pour aller aux toilettes ", raconte l'étudiante.
Ces cadeaux, les "suggar daddies" en font beaucoup, ce qui contribue, reconnaît Linda, à une forme de vie rêvée qu'elle recherche : "Etant donné que j'ai grandi dans une famille modeste, c'est quelque chose qui me fait rêver, qui nous fait penser pendant quelques heures que l'on appartient à ce monde ".
Cette pratique est-elle légale ?
Aux Etats-Unis, où le site existe depuis huit ans, personne n'a trouvé la faille pour l'attaquer. La page française existe, elle, depuis quelques semaines. Aucune enquête n'a pour le moment été lancée, mais il pourrait en être autrement, estime David Lepidi, un avocat parisien qui défend l'association EACP (Equipes d'actions contre le proxénétisme). "Ce sont des sites qui proposent des jeunes femmes à des tierces personnes, et en échange vous avez les fameux clients qui payent un abonnement qui permettra au site de se rémunérer. "
Pour l'avocat, le proxénétisme est évident. C'est, explique-t-il, soit du "proxénétisme hôtelier ou du proxénétisme aggravé ". Et de conclure que certes "il ne s'agit pas d'abattage ou d'esclavage, mais le délit de proxénétisme est une infraction extrêmement large, et nous sommes clairement dans les clous ".
50.000 abonnés en France
Car même si le site est américain, le juge français reste compétent, assure David Lepidi. Une partie du délit se déroule en effet en France. L'avocat estime aussi que les précautions prises par le site -qui "interdit " officiellement de solliciter par son biais des relations sexuelles- ne changent rien. Pour autant, il reconnaît qu'il serait très compliqué de retrouver les auteurs de l'infraction, car l'hébergeur du site, ses propriétaires ou le directeur de publication, eux, ne sont pas en France.
Le site seekingarrangement.com revendique un peu plus de 50.000 abonnés en France, dont 41.000 jeunes femmes, mais il existe d'autre plate-forme exactement sur le même principe. On peut aussi trouver des annonces de "sugar babies" et "sugar daddies" sur certains sites d'annonces traditionnels.
En quatre ans, Linda assure qu'elle n'a vraiment eu peur qu'une seule fois, mais qu'elle finira par arrêter. "Forcément ", dit-elle, car de toute façon "au-delà de 30 ans, on ne les intéresse plus ".
() Son prénom a été modifié.*
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