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Migrants africains : l'histoire d'incroyables retrouvailles

Le Plus de France Info vous propose le récit de retrouvailles exceptionnelles. On vous parle souvent sur ce site comme sur l’antenne de France Info des migrants africains qui périssent dans le naufrage de bateaux clandestins en partance pour l'Europe. Récemment, dix-sept cadavres ont encore été repêchés au large des côtes libyennes. Mais ces épouvantables exodes se terminent parfois bien
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Séparés il y a deux ans au moment de fuir l'Afrique pour l'Europe, Kadija et son fils Ridji 7 ans se retrouvent enfin à Orly. © Radio France - Mathilde Lemaire)

Cette histoire est celle d’une mère congolaise et de son fils séparés au moment de la traversée de la Méditerranée il y a deux ans. Ils viennent seulement de se retrouver à l'aéroport d'Orly.

Elle s'appelle Kadija, elle a 42 ans. Nous faisons sa connaissance dans le hall des arrivées à Orly. Bijoux, maquillage : elle s'est faite toute belle car elle vient chercher enfin son petit garçon Ridji perdu de vue en 2012, sur une plage du Maroc, au moment où des passeurs les faisaient monter dans des zodiacs. Ridji avait 5 ans ce jour-là. Il en a 7 aujourd'hui.

"Je suis vraiment stressée "

Ultime instant d’attente avant de le retrouver à l'aéroport, Kadija tremblante est forcément  pleine d'appréhension. "J’ai peur de quelque chose. Je ne sais pas vous dire mes émotions. Il y a de la joie, de la peur. Je suis vraiment stressée" , confie-t-elle.

Kadija profite de cette attente interminable à Orly pour nous raconter son périple commencé en 2000 quand elle fuit la guerre dans son pays le Congo Kinshasa.   

"La guerre civile était terrible. Moi, j’ai été enlevée par les rebelles, violée pendant 8 jours avant de réussir à m’évader.  J’ai découvert alors que mes parents, mes frères et sœurs avaient été tués. Il ne nous restait plus qu’à fuir. Alors on a marché des centaines et des centaines de kilomètres à pied à travers la brousse, à travers le désert. Quelquefois, nous sommes montés dans des 4X4. Et ainsi après de très longs mois nous sommes arrivés à Alger. C’est à Alger d’ailleurs que j’ai accouché de mon petit garçon ."

Kinshasa-Alger. Une interminable migration. Près de 5.000 kilomètres parcourus en trois ans à travers  la Centrafrique, le Tchad, le Cameroun, et le Niger.

Tenter sa chance en Europe

Toujours en attendant à Orly l'arrivée de l'avion qui ramène son fils, Kadija nous confie sa vie de misère ensuite réfugiée pendant cinq ans en Algérie, pays où dit-elle, les africains noirs sont vus comme des "moins-que-rien ". C’est après ces cinq années que Kadija prend la décision de partir tenter sa chance en Europe. C’était un rêve pour elle comme pour de nombreux migrants d’Afrique noir arrivés au Maghreb.

Elle paye des passeurs 500 euros et les suit pendant des heures de marches dans les montagnes. Elle est enceinte et doit porter son fils Ridji. Ils arrivent finalement avec d’autres candidats au départ sur une plage du Maroc, de nuit. Et c’est là  que se produit la terrible séparation au moment de traverser la Méditerranée, comme elle le raconte d'une voix tremblante :

"J’étais très fatiguée alors un monsieur qui était dans notre groupe, avec les mêmes passeurs m’a aidé. Il a pris Ridji dans ses bras. Il l’a porté. Et quand nous sommes arrivés au bord de l’eau, j’étais persuadée qu’ils étaient derrière moi. En fait, ils étaient devant. Ils étaient dans le début du groupe, celui qui a réussi à passer, à partir. Moi j’étais dans la fin du groupe, parmi ceux que la police marocaine a arrêtés. Je ne voyais plus mon enfant. J’ai cru qu’il était mort et que je l’avais perdu pour toujours. Ca a été un enfer. La vie m’était devenue insupportable après cela. J’ai même essayé de me suicider.  "

Ridji le petit garçon de cinq ans a en fait été secouru par des policiers espagnols, puis placé dans un foyer pour mineurs isolés à Melilla enclave espagnole au Maroc. Il y a passé deux années. Kadija bien qu’anéantie par la perte de son fils a, elle,  fini par réussir à gagner l'Europe. Elle est arrivée en France et s'est installée en banlieue parisienne.

La Croix Rouge a mené l'enquête

C'est la Croix Rouge qui, depuis Melilla, a enquêté pour localiser Kadija. Des avis de recherche ont été lancés à toutes les antennes Croix Rouge d'Europe, et notamment l’antenne française qui a fini par retrouver cette maman. Des recherches pilotées à Paris par les enquêteurs et avocats du service de rétablissement des liens familiaux de la Croix Rouge française.

"Cela a été presque deux années de démarches administratives très lourdes. Nous avons rencontré malheureusement beaucoup d’obstacles. Avec les personnels Croix Rouge de chaque pays, avec les personnels de la protection de l’enfance en Espagne, nous avons dû nous armer de beaucoup de patience et de persévérance dans ce dossier. Nous avons eu des déceptions par moment quand nous par exemple les autorités refusaient de nous donner certains feux verts. Finalement, nous voilà à Orly avec le précieux sésame : le laisser passer consulaire qui a permis à Ridji d’arriver ici. Ce travail de fourmi a fini par payer ", se félicite Amel Khelifa l’une des enquêtrices du service de rétablissement de la Croix-Rouge française. Il a même fallu procéder à des tests ADN pour prouver que Ridji était bien le fils de Kadija.

Au final, cette mère qui n'a qu'un titre de séjour provisoire en France n'a pas pu aller elle même en Espagne chercher son fils. Les conseillers de la Croix rouge y sont allés pour elle, et c'est donc à l'aéroport que se produit ce moment très fort.

 

  (Kadija et son petit garçon après les incroyables retrouvailles. © Radio France - Mathilde Lemaire)

 

 

"Comme si ma vie recommançait "

L'enfant reconnaît sa mère derrière la baie vitrée. Il se met à courir pour la rejoindre. Les portes automatiques s’ouvrent et dans un silence troublant, la mère et l’enfant se prennent longuement dans les bras. Kadija a le visage trempé de larmes et peine à trouver ses mots.

"Ce sont des larmes de joie. J’ai eu tant de larmes de tristesse pendant tous ces mois, là ce sont bien des larmes de joie ", lâche-t-elle. "Enfin, enfin....  ". Elle répète en boucle ce mot et ne quitte plus son garçon des yeux.

"Il est là avec moi, et nous ne serons plus jamais l’un sans l’autre. Regardez comme c’est un beau petit garçon. Il a tellement grandi en deux ans. C’est vraiment la fin d’un cauchemar  . A l’ instant où je vous parle, c’est comme si ma vie recommençait  ".

Ridji sourit, même s’il est un peu perdu. Il vient de passer deux ans dans un foyer de l'enfance à Melilla. Il ne parle plus français mais espagnol. C’est dans cette langue qu’il nous dit quelques mots."Je suis content de voir ma mère. C'est un grand jour. J'ai pris deux avions pour arriver. Dans l'avion j'ai pleuré, mais après j'étais content d'être là. Ma mère m'a serré fort contre son cœur. Maintenant je veux aller à l'école, et jouer au foot. Je suis gardien de but  ", raconte-t-il.  Ridji va réapprendre le français, et aussi  faire connaissance avec sa petite sœur âgée de 15 mois, née donc pendant ces deux années de séparation.  Très vite d’ailleurs, à l'aéroport, les enfants se mettent à jouer ensemble.

La mère et les deux petits, tous lestrois repartent. Ils vont vivre dans une chambre d'hôtel de neuf mètres carrés, en lointaine banlieue. A l'étroit, mais ensemble.

 

 

Le Plus France Info AOD 19.05.2014 web Plus retrouvailles

 

 

 

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