Les questions que posent une interview avec un trafiquant de drogue depuis sa prison

L'entretien d'un détenu, interrogé par téléphone, et diffusé sur franceinfo, a provoqué de nombreuses réactions des auditeurs. La médiatrice de Radio France, Emmanuelle Daviet, relaie ces réactions, auprès de l'auteur de cet entretien, Stéphane Pair, journaliste chargé des enquêtes à franceinfo.
Article rédigé par Emmanuelle Daviet
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La cité de La Castellane, dans les quartiers nord de Marseille, le 19 mars 2024. (MATHILDE VINCENEUX / FRANCEINFO)

Mardi 19 mars, Emmanuel Macron était à Marseille pour le lancement d'une opération "Place nette XXL". Objectif : porter un coup d’arrêt au trafic de drogue, qui gangrène la deuxième ville de France. Stéphane Pair, journaliste à franceinfo, a pu joindre en prison un trafiquant de drogue marseillais. Cet homme a suivi le déplacement du chef de l’Etat en regardant la télévision et a déclaré au micro de Stéphane Pair : "Avec tous les prisonniers, on a bien rigolé devant la télé". Les conditions de réalisation de cette interview intéressent particulièrement les auditeurs.

Emmanuelle Daviet : L’entretien avec ce trafiquant a été réalisé avec un téléphone portable clandestin en prison. Première question, en tant que journaliste chargé des enquêtes à franceinfo, y a-t-il des limites déontologiques à ne pas franchir ?

Stéphane Pair : Evidemment, il y a des limites déontologiques à poser quand on va vers ce type de document, de témoignage. Cela fait plusieurs mois à franceinfo qu’on travaille sur l’efficacité de la lutte antidrogue, et notamment sur l’efficacité du "pilonnage", cette méthode, qui est utilisée par les pouvoirs publics aujourd’hui, pour essayer d’attaquer et d’asphyxier les points de deal. Effectivement, des téléphones circulent en prison, on le sait, on a consacré nous-mêmes des reportages à cela. C’est interdit. Mais c’est vrai que pour aller vers ce témoignage-là, nous avons contacté quelqu’un qui était en prison. De son point de vue, c’est interdit d’avoir un téléphone en prison. Mais nous, nous avons effectivement contacté cet homme, pour aller vers ce témoignage, et décrire une situation.

Votre interview a fait beaucoup réagir. Voici quelques extraits de messages d'auditeurs :"C’est inacceptable de donner la parole à ce genre d’individus qui fait de la publicité pour son trafic tout en bafouant le travail de la police." Un autre auditeur écrit : "Que franceinfo, média d'information payé pas nos impôts, se paye le luxe de mettre à l'honneur des criminels en prison est une honte". Que répondez-vous aux auditeurs qui se disent choqués d’avoir entendu ce témoignage ? Est-ce que c’est votre rôle de faire entendre une telle parole ?

La question de la drogue en France, le  marché de la drogue en France est tellement présent dans notre société que oui, je pense que c’est un rôle important du journaliste d’aller vers ce type de témoignage, fusse-t-il celui d’une personne qui est détenue en prison, et qui a été condamnée. Je ne suis pas le premier journaliste à interroger quelqu’un en détention. Je ne suis pas le premier journaliste à interroger un trafiquant.

D’ailleurs, par exemple, nos confrères de La Provence font un excellent travail avec un podcast qui s’appelle Cartel Nord, où ils interrogent également des trafiquants qui, évidemment, au nom de la protection des sources, ne sont pas cités. C’est évidemment le travail des journalistes d’aller vers ce type de témoignage, pour décrire la totalité, la "grande photo" du trafic de drogue et de la pénétration de la drogue dans la société française.

On termine avec cette remarque : "Je ne vois pas l’intérêt de relayer les propos d’un délinquant en prison. En quoi sa parole est plus importante que celle de tout autre citoyen honnête", nous écrit un auditeur. Quel est l’intérêt journalistique de diffuser ce type de témoignage ?

Après la visite du chef de l’Etat à Marseille, la parole a été donnée aux forces de police pour tout ce qui est fait dans la lutte antidrogue en France – ce qui est énorme. Ce sont des moyens exceptionnels qui sont déployés en ce moment par les pouvoirs publics pour lutter contre la drogue. Oui, il nous semble important de donner un contrepoint sur cette lutte antidrogue. Est-ce qu’elle est efficace ? C’est le cœur de notre travail aujourd’hui, dans le cadre d’enquêtes : nous cherchons à savoir si cette action de l’Etat est efficace.

Et pour cela, oui, il faut aller chercher aussi ce type de documents, c’est-à-dire essayer de comprendre si cette action a un impact sur ces trafiquants, sur ces dealers. Et le journaliste est là aussi pour interroger tous les points de la société, convoquer tous les points de la société, pour essayer d’avoir une vision de ce qui se passe réellement sur le terrain et en France.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.