Le vrai du faux. La mairie de Lyon subventionne-t-elle le spectacle d'un homme nu avec des sextoys devant des enfants ?
La vidéo d'un homme nu dans un jardin est très partagée sur les réseaux sociaux, principalement par des médias et des élus de droite et d'extrême-droite. Ils accusent la mairie de Lyon de subventionner des spectacles avec des sextoys devant les enfants. La polémique est partie d'un tweet de Pierre Olivier, le maire Les Républicains du deuxième arrondissement de Lyon. "La ville de Lyon et son maire [écologiste] Grégory Doucet sabrent 37 subventions culturelles pour financer des individus nus dans un jardin avec des sextoys, devant des enfants. L'utilisation militante et extrémiste du budget n'a pas de limite, l'indécence non plus", dénonce-t-il. L'élu d'opposition a joint à son tweet la vidéo d'une performance artistique. Elle montre en effet un homme nu marcher à quatre pattes dans un jardin, sentir les légumes, puis une vingtaine de personnes marchent en ronde, on voit quelques enfants.
La ville de Lyon et son Maire @Gregorydoucet sabrent 37 subventions culturelles pour financer des individus nus dans un jardin avec sextoys, devant des enfants. L’utilisation militante et extrémiste du budget n’a plus de limite. L’indécence non plus. pic.twitter.com/fpzDBxoSsD
— Pierre OLIVER (@poliver69) June 13, 2023
La vidéo, dénuée de contexte, a été immédiatement reprise par plusieurs médias et élus de droite et d'extrême-droite, dénonçant une forme d'exhibition sexuelle financée par la mairie, certains en appelant même aux autorités. Beaucoup de choses circulant sur les réseaux sociaux à ce sujet, faisons le point.
Une performance artistique d'écosexualité
Il s'agit d'un extrait d'une performance artistique de la jeune compagnie Lundy Grandpré, composée d'un danseur et d'une designeuse. Selon les informations de franceinfo, la performance a en réalité eu lieu deux ans auparavant, en juin 2021. Les artistes avaient monté ce projet pendant leur résidence artistique à la Factatory, à Lyon, et le présentait dans un lieu privé, à un public restreint, uniquement des invités avertis, des proches des artistes, des connaisseurs de la scène artistique du moment, et certains de ces invités ont emmené leurs enfants. Il ne s'agit donc pas d'un spectacle donné spécialement pour les enfants.
Le but de la performance, intitulée "Devenir larve", est d'interroger le rapport des êtres humains à la nature et à la sexualité. Elle s'inscrit dans un courant artistique appelé écosexualité ou écosexe, fondé par deux artistes américaines dans les années 2000. Un courant qui prône une forme radicale d'activisme écologique basée sur l'idée de défendre l'environnement en agissant envers la planète comme envers une amante et qui utilise l'humour absurde pour faire passer son message. Dans cette performance, des sextoys sont plantés dans des mottes de terre, un peu comme s'ils étaient des asperges. Si les deux artistes se sont bien mis à nu à un moment, pendant la performance, il n'y a pas eu d'acte sexuel.
Une subvention validée à l'unanimité en commission culturelle… où siège la droite
Cette performance n'a pas été subventionnée par la mairie de Lyon. La compagnie Lundy Grandpré n'a jamais reçu de subvention de la municipalité à l'heure actuelle, mais elle a fait sa première demande de subvention pour cette année 2023 et la mairie a en effet décidé de lui en attribuer une de 1 500 euros, soit l'un des plus petits montants accordés à des compagnies ou institutions artistiques. Elle doit être votée lors du prochain conseil municipal. C'est dans ce contexte que Pierre Oliver a voulu dénoncer l'utilisation de l'argent public fait par la mairie. Lui a fait rejeter cette subvention dans son conseil d'arrondissement lundi 12 juin, mais il sait que cela n'aura pas de conséquence sur le prochain vote.
"Ce type de pratique doit-il être sponsorisé ou pas par de l'argent public ?", s'interroge l'élu, auprès de franceinfo. Il déplore une "utilisation politique des subventions" et critique sévèrement certaines productions des artistes, comme ces sachets de plantes pour faire des infusions appelées "L'Antidouleur", avec le A des anarchistes et le dessin d'une femme qui menace un policier avec un fouet, ou "Tsunamiiii" avec le dessin d'une femme nue, en position de yoga, dans une flaque d'eau.
En face, l'adjointe à la culture, Nathalie Perrin-Gilbert, dénonce une polémique vaine et "trompeuse" de la droite. Elle explique à franceinfo que cette subvention a été validée à l'unanimité par la commission culturelle de la ville, dans laquelle siègent deux représentants du parti Les Républicains. "C'est ça qui me pose question", commente-t-elle. "Il s'agit d'une subvention dans le cadre d'un coup de pouce aux jeunes diplômés [des grandes écoles lyonnaises]. Si notre rôle n'est pas de soutenir les artistes, je ne vois pas ce que c'est", ajoute-t-elle. La jeune compagnie artistique reçoit 6 000 euros de subventions de l'Etat dans le cadre d'un programme pour aider les jeunes artistes montants.
Contexte de fortes tensions entre droite et gauche à Lyon
En réalité, au-delà de s'interroger sur la place de la nudité dans la création artistique, cette polémique arrive dans un contexte de forte opposition entre la droite et la gauche autour de Lyon. Il y a un mois, en mai, la région Auvergne-Rhône-Alpes, dirigée par Laurent Wauquiez, membre des Républicains, a décidé d'opérer un "rééquilibrage" de ses subventions culturelles : elle en a moins donné à de grandes institutions culturelles du secteur comme le Centre chorégraphique national de Rillieux-la-Pape, La Comédie de Saint-Etienne ainsi qu'à plusieurs associations, et a carrément supprimé celle du Théâtre nouvelle génération de Lyon, au profit de plus petits acteurs ruraux. La gauche avait alors vivement critiqué la droite.
C'est donc un mois après cela que Pierre Olivier, proche de Laurent Wauquiez, a décidé de lancer la polémique en inversant les rôles : à présent, c'est la droite qui critique la gauche. "Ce qui me choque, c'est que pendant un an, on a entendu le maire de Lyon être vent debout contre le rééquilibrage du budget de la culture de la région de Lyon, et que maintenant, il fait un rééquilibrage idéologique", explique-t-il à franceinfo.
L'opposant reproche à la mairie de vouloir, en parallèle, diminuer les subventions de 37 associations, dont l'Ecole lyonnaise des cuivres qui entretient l'orgue de l'église Saint-François dans son arrondissement qui va recevoir 2 900 euros en 2023 au lieu de 4 000 euros en 2022, la compagnie de danse Hallet Eghayan (40 000 euros en 2023 au lieu de 60 000 euros en 2022) ou encore les danseurs de Pockemon Crew (8 000 au lieu de 10 000). Franceinfo n'a pas pu obtenir le nombre de subventions qui allaient, au contraire, augmenter, ni celui des nouvelles subventions.
La conséquence moins visible de cette polémique politique est que les artistes de Lundy Grandpré ont reçu des dizaines de messages de haine en 24 heures, certains ouvertement LGBTphobes. "Ils sont très mal", regrette l'adjointe à la culture de Lyon. Quelques heures après le début de la polémique, ils ont passé leur compte Instagram en privé pour qu'aucune autre image de leurs performances ne puisse être reprise sur les réseaux sociaux.
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