Loi immigration : la "caution retour" pour les étudiants étrangers est "discriminatoire", dénonce le vice-président de France Universités

"On est dans une marchandisation de l'enseignement supérieur et de la recherche", dénonce Dean Lewis, mercredi 20 décembre sur franceinfo.
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Dean Lewis, président de l’université de Bordeaux et vice-président de France Universités, mercredi 20 décembre 2023 sur franceinfo. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Dean Lewis, président de l’université de Bordeaux et vice-président de France Universités, a dénoncé mercredi 20 décembre sur franceinfo des "mesures discriminatoires" contre les étudiants étrangers. Dans le texte sur l'immigration voté mardi soir par le Parlement, plusieurs dispositions mettent en colère le monde universitaire.

Les étudiants étrangers vont devoir payer une caution "de retour" en venant s'installer en France pour leurs études. Le texte prévoit également des quotas pluriannuels d'accueil. "Ce type de dispositions sont plutôt dissuasives pour des étudiants pour venir sur le territoire français", dit-il. Il dénonce "une marchandisation de l'enseignement supérieur de la recherche". La présence des étudiants étrangers en France, dont 25 000 sont des doctorants, "est vraiment importante pour le développement scientifique de notre pays", dit-il.

franceinfo : pourquoi cette mesure de mise en place de caution vous pose problème ?

Dean Lewis : Les présidents d'université sont très attachés à la tradition d'ouverture de la France pour l'accueil des étudiants internationaux et on a un véritable marché international de captation des talents et aujourd'hui, ces dispositions sont plutôt dissuasives pour des étudiants pour venir sur le territoire français.

On ne connaît pas encore le montant de la hausse de cette caution. Vous demandez qu’elle soit la plus basse possible ?

Bien entendu. La question qui peut se poser pour une caution qui est fixée par décret c'est qu'aujourd'hui un gouvernement peut décider qu'elle soit modique et demain un autre gouvernement peut décider qu'elle soit à 12 000 ou 13 000 euros, comme c'est le cas par exemple dans d'autres pays européens. Ces mesures, tout comme les autres mesures, les droits d'inscription différenciés qui sont appliqués de manière systématique, ce sont des mesures qui sont discriminatoires en fonction des revenus des étudiants. On est dans une marchandisation de l'enseignement supérieur et de la recherche, où on va aller uniquement chercher les étudiants qui ont les moyens de venir en France pour faire leurs études.

Il est prévu dans le texte que le ministre de l'Enseignement supérieur puisse exonérer de caution les étudiants modestes et dont l'excellence du parcours universitaire le justifie. Cette disposition n’est pas de nature à vous apaiser ?

Ça existe déjà. On a le "Passeport talent" qui est basé sur les mérites des étudiants qui viennent étudier en France. Imaginons demain qu'on a un changement de gouvernement qui décide d'une politique complètement dissuasive. On pourrait avoir des exonérations moins importantes à l'avenir. On préfère avoir des éléments qui sont vraiment inscrits dans la loi et de manière durable pour avoir une visibilité à long terme.

Les étudiants étrangers représentent quelle proportion ?

En France, sur ces 300 000 étudiants, vous avez 70 000 doctorants. Vous en avez 25 000 qui sont des étudiants internationaux. C’est vraiment important pour le développement scientifique de notre pays. Il y a à peu près 20% qui restent sur le territoire français et la majorité des étudiants repartent dans d'autres pays. J’ai encadré une vingtaine de doctorants, six doctorants qui étaient internationaux. Il n'y en a qu'un seul qui est resté en France, c’est un Italien. Il a créé sa boîte à Toulouse qui marche très bien.

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur, justifie la mesure en disant qu'il y a une sorte de détournement du titre étudiant pour rester en France sans forcément étudier. Vous êtes d’accord ?

Ce n’est pas notre avis. Il y a une question de cohérence. On a un plan "Bienvenue en France" qui a été adopté en 2018 avec l'objectif d'avoir 500 000 étudiants internationaux en France en 2027. On espère que ces quotas seront compatibles avec cet objectif. Je rappelle qu'on a un marché international de captation des talents. Ensuite, sur le caractère sérieux des études, il me semble que la vérification, la présence aux examens ou au contrôle continu est une première manière, effectivement, de vérifier le caractère sérieux des études. Je n'imagine pas qu'on puisse faire l'appel, par exemple, dans un amphithéâtre de 1 000 étudiants à chaque fois qu'on commence un cours en faisant juste l'appel des étudiants qui sont internationaux. Ça serait une mesure qui me semblerait discriminatoire.

Ces mesures, concrètement, elles ont quelles conséquences dans les filières universitaires françaises ?

Ce que l'on constate depuis un certain nombre d'années, c'est la baisse de nombre de doctorants en France. On parle derrière de réindustrialisation et de souveraineté économique.

Le message que l'on fait passer à des futurs internationaux qui viennent en France n'est pas très bon dans ce contexte.

Dean Lewis, vice-président de France Universités

sur franceinfo

La question qui va se poser à nous, c'est comment on répond à ces enjeux de réindustrialisation et de souveraineté économique, avec une baisse du nombre de doctorants en France et une baisse de production scientifique et de production technologique. En termes de production scientifique, les doctorants, c'est à peu près 50% de la production scientifique. C'est vraiment les chevilles ouvrières de la recherche et du développement dans les universités. Vous avez la moitié qui sont des doctorants internationaux.

Ce message qui est envoyé de la part du gouvernement français va entacher l'attractivité de la France ?

Très clairement. C’est un élément qui va freiner l'attractivité. Il y a aussi une incohérence par rapport à la volonté de la France d'avoir une influence diplomatique, notamment dans les pays francophones. On sait que la moitié des étudiants internationaux sont des étudiants qui viennent d'Afrique. La question qui peut se poser, c'est "est ce qu'on n'est pas dans une incohérence aujourd'hui avec les conséquences de cette loi ?".

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