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Vrai ou faux
Aide médicale d'État : la mortalité des sans-papiers a-t-elle augmenté de 20% en Espagne après la réduction des aides ?

Le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a dénoncé la "faute" du Sénat, qui a adopté la suppression de l'aide médicale d'État pour les migrants sans-papiers. L'Espagne l'a déjà fait pendant six ans avant de faire volte-face, face à des conséquences sanitaires inquiétantes.
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des agents de la Police nationale et des membres de la Croix-Rouge s'occupent des migrants débarquant d'un bateau sur l'île canarienne d'El Hierro, le 26 octobre 2023. (STRINGER / AFP)

C'est un vote dénoncé aussi bien par la Première ministre Élisabeth Borne que par Médecins sans frontières. Le Sénat, à majorité de droite, a adopté la suppression de l'aide médicale d'État pour les étrangers en situation irrégulière en France, lors d'un vote le mardi 7 novembre. Il propose de la remplacer par une aide médicale d'urgence uniquement, en réduisant donc le champ des motifs médicaux pris en charge par l'État pour les sans-papiers.

Rien n'est définitif car l'Assemblée nationale doit encore se prononcer sur le sujet. Mais le ministre de la Santé Aurélien Rousseau a tout de même déploré une "erreur" qui confine à la "faute", dans l'émission Quotidien le soir-même. Il a rappelé que "l'Espagne a essayé ce dispositif [entre 2012 et 2018] . Au bout de quelques années, ils se sont aperçus qu'ils avaient 20% de mortalité en plus dans cette population qui est beaucoup plus sujette aux maladies transmissibles, etc". Et c'est vrai.

Hausse de 22% de la mortalité des sans-papiers au bout de trois ans en Espagne

L'Espagne a restreint l'aide médicale aux étrangers en situation irrégulière en 2012. Leur taux de mortalité a aussitôt commencé à augmenter, année après année, pour atteindre une hausse de 22,6% en 2015, selon une étude de l'Université de Barcelone intitulée "Les effets mortels de la perte de l'assurance maladie", publiée en 2018 (en anglais). Lissé sur les trois premières années post-réforme, de 2013 à 2015, le taux de mortalité a augmenté de 15% en moyenne par an, soit 70 morts supplémentaires par an, notamment en raison de l'arrêt de certains traitements médicaux.

Pour arriver à cette conclusion, cette étude a comparé l'évolution de la mortalité des sans-papiers à celle des Espagnols, avant et après la réforme de 2012. Elle a constaté qu'avant cette réforme, le taux de mortalité des sans-papiers suivaient la même courbe descendante que celui des Espagnols, alors qu'après la réforme les courbes ont commencé à suivre des chemins inverses. La mortalité des Espagnols a continué à baisser, en moyenne, alors que celle des sans-papiers a recommencé à augmenter de façon exponentielle. 

Une autre étude de l'Université de Barcelone, publiée la même année et intitulée "Les effets de l'exclusion des migrants sans-papiers de la couverture de santé en Espagne" (en anglais), souligne les autres conséquences sur la santé des étrangers en situation irrégulière, notamment une hausse des cas d'hépatites B et une hausse de la mortalité liée au virus du sida.

Les mêmes objectifs en France et en Espagne...

Il faut noter tout de même que les sénateurs français ne veulent pas faire exactement pareil que les Espagnols. L'amendement adopté par les sénateurs qui remplace l'aide médicale d'État (une couverture à 100% des besoins de santé des sans-papiers) par une aide médicale d'urgence prévoit que les maladies graves, les douleurs aiguës et les soins liés à la grossesse seront pris en charge, comme c'était le cas en Espagne après la réforme de 2012. Mais l'aide médicale d'urgence à la française prendrait aussi en charge les vaccinations réglementaires et les examens de médecine préventive.

En revanche, ce qui rapproche véritablement l'exemple espagnol de l'amendement voté par les sénateurs français, ce sont leurs motivations. Les deux avaient pour but de faire des économies – l'aide médicale d'État a coûté près de 1,2 milliard d'euros en 2022 selon un rapport d'information de la commission des finances de l'Assemblée nationale rendu en mai 2023 – et mettre un terme à ce que les Espagnols jugeaient être du "tourisme médical" et les sénateurs de droite français un "appel d'air" qui attire les migrants vers la France – notion contestée par la ministre déléguée à l'Organisation territoriale Agnès Firmin Le Bodo qui a assuré au Sénat que "l'AME n'est pas un facteur d'attractivité pour les candidats à l'immigration dans notre pays".

... mais l'Espagne n'a pas prouvé qu'elle faisait des économies

Sauf que l'Espagne n'a pas réussi à prouver que ces restrictions permettaient de faire des économies. "Le ministère de la Santé n'a pas encore publié de chiffres montrant les éventuelles économies réalisées grâce à la réduction des aides médicales aux migrants sans-papiers", concluait l'étude sur "Les effets de l'exclusion des migrants sans-papiers de la couverture de santé en Espagne" en 2018.

Au contraire, l'étude soulignait que ces restrictions "avaient pu provoquer une augmentation des passages aux urgences, puisque c'était devenu la seule forme d'accès aux soins pour beaucoup. Les données montrent en effet une hausse des passages aux urgences dans les zones métropolitaines et dans les grandes villes, où la population étrangère est la plus importante. Cela a pu provoquer une augmentation des dépenses de santé, puisque les urgences coûtent plus cher à l'État que les autres soins"

En 2018, après six ans de restrictions médicales pour les migrants sans-papiers avec des conséquences sanitaires et économiques jugées mauvaises, l'Espagne a finalement fait volte-face et est revenue à une couverture de santé universelle pour les étrangers en situation irrégulière.

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