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Vrai ou faux
Faudrait-il 2 000 ans pour venir à bout des passoires thermiques, comme l'affirme François Ruffin ?

Le député La France insoumise de la Somme, François Ruffin, estime qu'il faut accélérer le rythme des rénovations des passoires thermiques car, au rythme actuel, cela mettrait "deux millénaires" pour en venir à bout.
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le député insoumis de la Somme François Ruffin lors des universités d'été de LFI, à Châteauneuf-sur-Isère, le 25 aout 2023. (BERTRAND RIOTORD / MAXPPP)

C'est une phrase énoncée au cours d'un débat à Sciences Po Paris, sur les conditions de travail et la qualité des emplois, le 25 octobre dernier, que François Ruffin a partagé sur son compte X, anciennement Twitter, mardi 7 novembre. Le député La France insoumise de la Somme a calculé : "Si on veut rénover les cinq millions de passoires thermiques, sachant qu'au rythme où on va aujourd'hui, on en fait 2 500 par an, donc il va nous falloir deux millénaires. L'équivalent d'entre Jésus-Christ et aujourd'hui pour venir à bout des passoires thermiques", a-t-il déclaré, ajoutant que le domaine de la rénovation énergétique allait donc créer des emplois. Un calcul déjà donné il y a un an. Mais faudrait-il vraiment 2 000 ans ?

Entre 2080 et 2360 ans avec la cadence de rénovation de 2021…

Le calcul du député était vrai avant, avec le rythme de rénovation d'il y a deux ans, mais ne l'est plus à présent.

François Ruffin a trouvé son chiffre dans un rapport de la Cour des comptes sur "La préparation et la mise en œuvre du plan de relance", rendu en mars 2022. La Cour notait que seulement 2 500 logements très mal isolés et énergivores (classés F ou G) avaient pu sortir du statut de "passoires thermiques" en 2021 grâce au dispositif MaPrimeRénov' mis en place par le gouvernement pour aider les Français à changer leurs fenêtres, leur chauffage, isoler leurs murs ou leur toit, alors que l'objectif gouvernemental était de 80 000.

En parallèle, l'Observatoire national de la rénovation énergétique (ONRE) estimait qu'il y avait 5,2 millions de résidences principales qui étaient des passoires thermiques au 1er janvier 2022. Pour retrouver le chiffre du député insoumis, il faut donc diviser le nombre total de passoires thermiques par le nombre de logements qui sont sortis de ce statut en 2021. Selon ce calcul, si l'on continue à rénover à la même cadence, il faudrait en effet environ deux millénaires pour venir à bout de toutes les passoires thermiques. 2 080 ans précisément.

Une première limite – provisoire – à apporter à ce chiffre est que cela aurait même été plus long en réalité avec le rythme de 2021, car le nombre de logements qui sont sortis du statut de passoires thermiques grâce à MaPrimeRénov' a été revu à la baisse. Le projet annuel de performances annexé (à télécharger) au projet de loi de finances 2024 a réduit ce chiffre à 2 200 logements. Avec cette cadence, il aurait même fallu 2360 ans. C'est autant de temps passé, non pas depuis Jésus-Christ, mais depuis que la Gaule existait toujours et qu'elle n'avait pas encore été envahie par les Romains.

… mais 220 ans selon le rythme de 2022

La deuxième limite – plus importante – est que le rythme des rénovations a bel et bien changé depuis 2021. L'année suivante, en 2022, il est allé dix fois plus vite. 23 700 logements sont sortis du statut de passoires thermiques grâce à MaPrimeRénov' selon l'Agence nationale de l'habitat (Anah) citée dans les annexes budgétaires du projet de loi de finances 2024. Le calcul de l'insoumis est donc caduc. 

Avec la cadence de rénovation des passoires thermiques de 2022, il ne faudrait pas deux millénaires mais 220 ans pour venir à bout de toutes les passoires thermiques. Autrement dit, ce n'est pas l'équivalent du temps passé depuis Jésus-Christ, contrairement à ce qu'il dit, mais du temps qui nous sépare du sacre de Napoléon 1er en 1804. Pour l'instant, les chiffres de 2023 ne sont pas connus.

Évidemment, cette accélération reste très minime, alors que, selon le Haut Conseil pour le climat, il faudrait que "900 000 logements par an en moyenne" sortent du statut de passoires thermiques pour éradiquer les passoires thermiques d'ici 2028 et atteindre l'objectif gouvernemental. 

Un suivi insuffisant du nombre de passoires thermiques

Il est possible d'objecter au calcul du député insoumis qu'il se base sur des chiffres qui ne sont pas exhaustifs. Le chiffre relayé dans les annexes budgétaires est la seule source permettant actuellement de dire combien de logements qui étaient des passoires thermiques n'en sont plus grâce à une rénovation. Mais il a ses limites. Il ne prend en compte que les logements qui ont demandé un diagnostic énergétique avant de faire des travaux afin d'obtenir un bonus de sortie du statut de passoires. Il laisse donc de côté les logements qui ne l'auraient pas fait. 

La commission des finances du Sénat soulignait déjà le problème dans un rapport sur le projet de loi de finances 2022. "L'étiquette DPE n'est pas collectée automatiquement dans le cadre de l'instruction des dossiers, mais seulement pour les dossiers demandant l'obtention du bonus afférent, et pour lesquels l'audit est exigé. Autrement dit, de nombreux dossiers passent 'entre les mailles du filet' et sortent du statut de 'passoire thermique' sans que l'information soit disponible dans les dossiers des demandeurs", écrivait-elle avant de conclure : "Il faut espérer que ce manque d'information sur le nombre de sorties de 'passoires thermiques' permises par le dispositif soit rapidement comblé."

Il faut noter également que d'autres logements ont fait l'objet de rénovation pendant l'année 2022, mais ils n'étaient pas forcément des passoires thermiques ou n'ont pas été suivis ou sont toujours classés F ou G. Près de 670 000 logements ont été rénovés en 2022 grâce au dispositif MaPrimeRénov', dont près de 70 000 rénovations globales, qu'il s'agisse de résidences principales, secondaires ou de logements mis en location, selon le bilan annuel de l'Anah.

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