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Vrai ou faux
Inflation : est-il possible de bloquer les prix, comme l'affirment des élus La France insoumise ?
Depuis deux ans, la France insoumise demande le blocage des prix de produits alimentaires, voire du carburant en France pour lutter contre l'inflation galopante depuis le début de la guerre en Ukraine. Emmanuel Macron a pour sa part apporté une réponse, dimanche 24 septembre, lors de son interview télévisée. "Je vais vous dire, ça ne marche pas le blocage des prix, a-t-il tranché, parce que les prix ne sont plus administrés dans notre pays."
La phrase n'est pas passée inaperçue. Quelques minutes plus tard, Mathilde Panot, la présidente du groupe Insoumis à l'Assemblée nationale, affirmait que "Macron ment". Sur le réseau social X, anciennement Twitter, elle traitait le président de la République d"incapable". Le lendemain matin, lundi 25 septembre, c'était au tour de Manuel Bompard, le coordinateur du parti, de commenter les propos du président sur BFMTV. "Non mais ça, ce n'est pas un argument. 'Ça ne marche pas parce que ce n'est pas le cas'. Bon, d'accord, mais moi j'attendais des arguments", a-t-il répliqué, avant d'asséner à son tour que "c'est faux, parce que ça existe".
Le Code du commerce permet le blocage des prix
En réalité, les deux camps ont raison. En effet, comme le dit Emmanuel Macron, le temps où le prix de la baguette de pain et du café au comptoir était décidé par l'État est déjà loin. Les prix ne sont plus administrés en France depuis plusieurs décennies et cela a été entériné en 1986 avec l'instauration officielle de l'économie de marché et du libre jeu de la concurrence qui permet aux entreprises de fixer elles-mêmes leurs tarifs en toute indépendance.
Néanmoins, cela n'empêche pas Manuel Bompard et les élus insoumis de dire aussi la vérité : il est aussi possible, dans certaines situations, de bloquer les prix par décret pour un maximum de six mois. L'article L410-2 du Code du commerce stipule que le gouvernement peut décider par décret en Conseil d'État de mettre en place des "mesures temporaires" contre "des hausses ou des baisses excessives de prix", qui sont "motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé".
L'inflation correspond-elle à ces "circonstances exceptionnelles" ?
Mais cette définition reste tout de même assez vague. Le Code du commerce ne dit pas précisément ce que sont ces circonstances dites "exceptionnelles". Il y a une liberté d'interprétation qui pousse chacun, selon ses opinions et sa compréhension du droit, à penser que la situation actuelle correspond ou non à une situation exceptionnelle.
Le site Les Surligneurs, tenu par des enseignants spécialisés dans le décryptage du droit, s'est penché sur la question à plusieurs reprises depuis le début de cet épisode de forte inflation. En janvier dernier, il estimait que "l'inflation généralisée actuelle ne répond[ait] pas à ces critères", car elle n'était "pas exceptionnelle". Nous avions "déjà connu en France une inflation à deux chiffres" et qu'il n'y avait pas non plus "de situation anormale du marché : la concurrence jou[ait] normalement".
Les spécialistes estimaient également en septembre 2021, alors que Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise à l'élection présidentielle de 2022, avait inscrit le blocage des prix des produits de première nécessité dans son programme, que l'alimentaire était une "catégorie très large". Ils trouvaient difficilement imaginable "un blocage des prix pour de l'alcool ou des bonbons qui n'ont rien d'essentiel" et concluaient qu'il "faudrait donc établir une liste de produits alimentaires essentiels (fruits, légumes, viandes, œufs, par exemple)". Il faudrait aussi "démontrer que des difficultés d'approvisionnement de ces produits créent une inflation telle que cela empêcherait une partie de la population de se nourrir en l'absence d'intervention de l'État". Deux ans plus tard, d'aucuns pourraient arguer que l'augmentation de la fréquentation des banques alimentaires en est une preuve. "La France a faim", a martelé Mathilde Panot.
Plusieurs exemples ces dernières années
L'exception à la liberté des prix et de la concurrence que permet le Code du commerce a cependant déjà été utilisée. En 2020, le gouvernement s'en est saisi pour bloquer le prix du gel hydro-alcoolique et des masques pendant la crise sanitaire du Covid-19. L'aspect exceptionnel de la situation ne faisait aucun doute et cela répondait à une urgence de santé publique. À Mayotte, le prix de l'eau minérale est fixé par décret depuis juillet 2023 et jusqu'au mois de décembre pour éviter l'emballement des prix en pleine pénurie d'eau potable.
Autre exemple, qui pourrait se rapporter à la situation actuelle : en 1990, après le début de la guerre du Golfe, le gouvernement avait réglementé le prix des carburants. À l'époque, le cours du pétrole avait bondi de 160% en deux mois. Pour comparaison, après le début de la guerre en Ukraine, ce même cours a augmenté de 65% en un an selon l'Insee.
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