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Vrai ou faux
Le plan Ecophyto garantirait-il les mêmes rendements agricoles aux exploitants, comme l'affirme Cyrielle Chatelain ?
Le plan Ecophyto, destiné à réduire les pesticides, est actuellement sur pause, au moins jusqu'au Salon de l'Agriculture, le 24 février prochain, pour "redefinir l'indicateur de mesure de l'usage des pesticides", selon le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau. La mobilisation des écologistes, qui dénoncent ce coup d'arrêt, ne faiblit pas. Une question anime les débats : le plan Ecophyto, s'il était appliqué, ferait-il baisser les revenus des agriculteurs. Pour la présidente du groupe des Ecologistes à l'Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain, c'est évident que non, elle donne même un exemple : "Aujourd'hui, on a une expérimentation dans les Deux-Sèvres, on a réduit de 50% l'utilisation des pesticides, la vérité c'est qu'il n'y a pas eu de baisse de rendement et la deuxième chose c'est que, comme on achète moins de pesticides et que ça a un coût, et bien par hectare c'est 200 euros de plus pour les agriculteurs", a-t-elle affirmé sur Public Senat. Vrai ou faux ?
Une expérimentation depuis plus de dix ans, menée par le CNRS
C'est vrai, réduire de 50% l'utilisation des pesticides, comme le prévoit le plan Ecophyto d'ici à 2030, ne fait pas chuter les rendements agricoles. C'est en tout cas le résultat de l'expérimentation citée par Cyrielle Chatelain et menée depuis 2012 par le CNRS de Chizé par le chercheur Vincent Bretagnolle. Près de 600 parcelles font désormais partie de l'expérimentation et 130 agriculteurs. Les exploitants qui participent doivent réduire d'au moins 30% l'utilisation de pesticides et d'azote mais ils ont ensuite toute latitude pour choisir le degré de réduction. En moyenne, ils ont réduit de 50% l'utilisation des pesticides.
Les chercheurs comparent ensuite ces "parcelles-tests" à des "parcelles-contrôles", c'est-à-dire des parcelles voisines où il y a toujours autant de pesticides. Résulat : ils n'ont pas constaté de chute des rendements agricoles, les volumes récoltés restent sensiblements les mêmes en moyenne. Sur certaines parcelles, les rendements ont baissé, sur d'autres ils ont augmenté. En moyenne, sur le blé, les chercheurs ont constaté une baisse de 2 à 5% des rendements agricoles. "Ce n'est pas significatif", explique Vincent Bretagnolle à franceinfo.
Le plan Ecophyto permet-il aussi aux agriculteurs de gagner 200 euros de plus par hectare, comme l'affirme Cyrielle Chatelain ? C'est un gros résumé, un peu exagéré. En réduisant les pesticides utilisés, les agriculteurs dépensent moins. D'autant qu'ils utilisent moins leur tracteur pour répendre les produits et donc consomment moins de gazoile. Selon la même expérimentation, comme les rendements agricoles restent stables, les marges augmentent. Mais cela est très variable en fonction des cultures et de l'évolution des prix. "Les revenus sont très dépendants des cours des céréales et de l'azote", explique Vincent Bretagnolle. Des cours par définition volatiles.
Une hausse des marges constatée, mais variable
En fonction des parcelles, les chercheurs ont constaté une hausse des marges de 75, 100, 150 ou 200 euros par hectare et par an. 200 euros, reste la fourchette haute. Pour le colza par exemple, qui utilise habituellement beaucoup de pesticides, les marges grimpent car réduire les produits phytosanitaires permet de beaucoup économiser. Mais pour le tournesol, moins consommateur de pesticides, la différence est moins marquée.
Une autre étude a également été menée sur les fermes du réseau Dephy Ecophyto, synthétisée en juin 2023 par la cellule d'animationale nationale et pilotée par les ministères de l'Agriculture, l'Ecologie, la Santé et la Recherche. Mais la méthode n'était pas tout à fait identique : les chercheurs ont comparé dans le temps les parcelles impliquées dans l'expérimentation. Sur les grandes cultures et l'élevage, la fréquence d'utilisation des produits phytosanitaires a été réduite en moyenne de 30%, les chercheurs notent une réduction des charges. Les marges, elles, ont baissé, mais dans les mêmes proportions que le reste des fermes en France. Des résultats qui vont donc globalement dans le même sens.
Une réticence des agriculteurs à changer de modèle
Pourquoi les agriculteurs ne réduisent-ils pas tous leurs pesticides si c'est si bénéfique ? Les chercheurs eux-même se posent la question. Vincent Bretagnolle a identifié plusieurs freins. D'abord une "aversion au risque" des agriculteurs : beaucoup considèrent que les pesticides restent le meilleur allié face aux aléas de la nature, ils veulent limiter les risques a maximum. Il y a aussi des freins au niveau des filières, qui n'acceptent pas toujours des grains de blé ou des fruits de calibres différents. Et enfin des freins institutionnels : "L'agroécologie n'est pas soutenue par rapport à l'agriculture conventionnelle", insiste le chercheur.
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