Vrai ou faux
Michel Barnier se définit comme "un paysan" : quand des politiques s'arrangent avec leurs origines sociales

"Je suis un paysan montagnard", a indiqué le Premier ministre Michel Barnier, mercredi, en déplacement à Reims. Un petit arrangement avec la réalité qui rappelle une pratique assez répandue en politique.
Article rédigé par Armêl Balogog
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Michel Barnier, en déplacement dans le département de la Savoie, le 12 septembre 2024. (BERTRAND RIOTORD / MAXPPP)

Ce sont des petits mots dits au passage à des journalistes qui ont fait réagir Frédéric Sawicki, professeur de science politique à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, sur X. En déplacement dans la Marne, mercredi 11 septembre, Michel Barnier a appelé la presse à un peu de patience avant la formation d'un nouveau gouvernement "la semaine prochaine". Le Premier ministre a ajouté ces quelques mots : "Ne soyez pas impatients. Moi je suis un paysan montagnard, une étape après l'autre." 

"Barnier paysan !", s'exclame alors le chercheur du Centre européen de sociologie et de science politique. Il rappelle le curriculum vitae du Premier ministre et estime qu'en ayant été chargé de mission en cabinet ministériel à 21 ans, le Premier ministre avait "commencé à labourer tôt la politique".

Michel Barnier, pas "paysan"

Montagnard, admettons, car c'est vrai que Michel Barnier est né en Isère et a grandi en Savoie. Mais paysan en tant que tel, non, il ne l'est pas, ni lui, ni ses parents. Son père gérait une petite entreprise de gainerie et sa mère était militante dans plusieurs associations notamment sur la sécurité routière. Frédéric Thébault, le responsable éditorial du site Geneanet, a tout de même trouvé des fermiers parmi des ancêtres plus lointains du chef du futur gouvernement, au XIXe siècle. Mais encore une fois, Michel Barnier, lui, n'est pas paysan, contrairement à l'ancien député Jean Lassalle, par exemple, qui est issu d'une famille de bergers béarnais. L'exploitation familiale est aujourd'hui gérée par son frère.

Certains penseront que certes, ce n'est qu'un petit arrangement avec la réalité, et ils auront raison. D’autant plus que Michel Barnier a bel et bien fait une ascension sociale, initiée très tôt par sa scolarisation dans un prestigieux lycée lyonnais, et motivée par sa passion pour la politique dans laquelle il s'est engagé dès l'adolescence.

Emmanuel Macron, Édouard Philippe… D’autres politiques s'arrangent avec leurs origines sociales

Cependant, ce petit arrangement rappelle la pratique assez répandue dans le monde politique qui consiste à jouer un peu sur ses origines sociales et à se donner des airs plus modestes que ce que l'on est en vérité. Adrien Naselli, journaliste à Libération et auteur du livre Et tes parents, ils font quoi ?, estime qu'il y a deux façons de le faire : soit en parlant de ses grands-parents, en oubliant de préciser que ce sont ses parents qui ont fait l'ascension sociale et non soi-même, soit en parlant de ses origines géographiques.

Ainsi, Édouard Philippe, le maire Horizons du Havre, se présente souvent comme un petit-fils de docker, sans préciser que son père, lui, était directeur d'un lycée en Allemagne, où l'ancien Premier ministre et candidat à la présidentielle de 2027 a d'ailleurs été scolarisé. Le président Emmanuel Macron le fait aussi quand il parle de sa grand-mère institutrice, sans rappeler que ses parents à lui sont médecins. Il ne dit pas non plus que sa grand-mère n'était pas seulement institutrice mais aussi directrice d'école, ce qui, à l'époque, était un statut plutôt élevé pour une femme. Dans un autre genre, on peut penser à l'ancien président Nicolas Sarkozy qui a tronqué son nom de famille complet, Sarkozy de Nagy-Bocsa, enlevant sa particule et par là même effaçant ses signes de noblesse hongroise.

On retrouve le même procédé, avec tout un narratif sur les origines géographiques, pour des personnalités politiques issues ou vivant ailleurs qu'à Paris. Ils se servent de leurs origines pour se distinguer de l'élite parisienne, sans rappeler qu'elles font tout de même partie d'une élite locale. Emmanuel Macron le fait quand il se décrit comme un "provincial". François Ruffin, le député ex-insoumis, le fait aussi quand il répète à l'envi qu'il est juste "Picard", sans préciser que son père était cadre à Bonduelle.

Les élites n'ont plus la cote

La pratique n'est pas toujours consciente et pas forcément malintentionnée. On peut sincèrement se sentir issu d'une classe plus modeste quand nos grands-parents l'ont été, ou quand on a grandi ailleurs qu'à Paris et qu'on se compare à des personnes issues de l'élite parisienne. Mais il peut souvent s'agir d'une stratégie politique pour attirer la sympathie, et les voix des électeurs.

"Le storytelling des politiques permet de réduire leur position sociale", analyse Adrien Naselli. "Ce n'est plus valorisant de venir d'un milieu favorisé. Il y a une espèce de ras-le-bol de voir un profil identique. Les profils comme celui de Gabriel Attal sont caricaturaux, lui ne peut rien faire pour réduire ses origines sociales. Mais tous les autres, ceux qui ne viennent pas de Paris, en profitent pour se mettre en figure provinciale."

Dans son livre, le journaliste cherche des personnes qui sont véritablement transclasses ou transfuges de classe, comme lui, et veut rencontrer leurs parents. C'est difficile d'en trouver, car beaucoup de faux transfuges de classe répondent à son appel. Adrien Naselli note qu'il est assez courant de s'arranger avec ses origines et de se faire passer pour plus modestes qu'on ne l'est. Ce n'est donc pas réservé aux politiques. Mais quand cette méthode est utilisée par nos élus ou les membres des gouvernements, cela tend à masquer ce que toutes les études et analyses récentes montrent (comme ici, ici et ici). À savoir que les origines sociales des politiques ne reflètent pas du tout la société française.

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