Ma vie face au cancer (13/16) : nous nous sommes aimés

Dans le couple formé par Clémentine et Grégoire, "il y a toujours eu un petit peu la maladie quelque part". Leur histoire d'amour s'est construite jusqu'au bout, avec et malgré le cancer. Avec Grégoire, le compagnon devenu l'époux, mais aussi l'aidant de Clémentine.
Article rédigé par Clémentine Vergnaud, Samuel Aslanoff
Radio France
Publié
Temps de lecture : 10min
Ma vie face au cancer, épisode 13 : nous nous sommes aimés. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Clémentine Lecalot-Vergnaud était journaliste à franceinfo. Elle est morte le 23 décembre 2023 après s'être battue contre un cancer détecté un an et demi plus tôt. Elle avait 31 ans. Le 1er juin, le podcast auquel elle tenait tant était sorti. Dix premiers épisodes où elle racontait son combat face à la maladie, ses espoirs et ses doutes. Pour, disait-elle, "laisser une trace". Quelques semaines avant sa mort, depuis sa chambre d'hôpital, Clémentine a souhaité reprendre le fil de son témoignage. Voici le troisième des six derniers chapitres de "Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine".  

Mon mari a vraiment été quelqu'un qui a toujours été là. Au moment où ça nous est tombé dessus, il aurait pu, comme certains le font, me dire : je t'aime bien, mais je ne me vois pas traverser cette bataille, je m'en vais. Il aurait pu s'engager puis renoncer. Non : il est avec moi jusqu'au bout et ça, c'est énorme pour moi. Je trouve que c'est le plus beau des cadeaux qu'on puisse faire.

Dès le début, il a fait des recherches sur la maladie, il a posé des questions aux médecins, il venait à tous les rendez-vous. Et il est toujours là quand j'ai besoin d'exprimer mes émotions, quand j'ai besoin de dire ce qui ne va pas. Pour moi, le rôle d'un compagnon, c'est le rôle qu'il tient. Ni plus, ni moins. Il n'y a pas besoin d'en faire trop non plus. Par exemple, il ne dort pas à l'hôpital quand il n'y a pas nécessité de dormir avec moi à l'hôpital. Il sait se préserver des plages, quand même. Il n'y a pas longtemps, sur des jours de congés, il est allé prendre l'air, un petit peu. Je pense que ça lui a fait le plus grand bien. Et voilà, il connaît à la fois ses forces et ses limites. Il connaît ça très bien et il me connaît très bien.

On ne sait pas tout de suite, je pense, être un aidant et être le bon aidant. Il faut dire que c'est très difficile d'être aidant. Vous êtes face à quelqu'un qui est souvent dans une souffrance physique, dans une souffrance morale. Je me souviens notamment d'une période où j'avais eu plein d'hospitalisations à la suite. Vraiment, c'était la galère, je ne m'en sortais plus. Et à cette époque-là, sa réaction, ça a été un peu... (elle s'interrompt) D'ailleurs, il n'a pas apprécié que je le qualifie comme ça, mais un jour, je lui ai dit : arrête d'être coach, c'est pas possible, en fait ! C'est trop, stop ! Tu m'étouffes avec ta positivité, tu m'étouffes à vouloir me relancer tout le temps ! Non, il y a des moments où j'ai le droit de baisser les bras. Arrête avec ça, en fait. Et il ne s'en rendait pas compte. Pour lui, c'était juste essayer de m'entraîner vers l'avant. Mais moi, j'avais besoin qu'on me laisse stagner un petit peu.   

"Tout ce dont j'avais besoin, c'était qu'on parle de ma mort"  

On s'engueule, du coup, forcément. Il y a eu des engueulades. Bien sûr. Ce n'est pas toujours facile, surtout quand, encore une fois, on n'est pas sur le même plan. Parce que lui, à ce moment-là, c'était vraiment : je la pousse le plus possible pour qu'elle y croie de nouveau, pour qu'elle se remette dans une dynamique plus positive. Et moi, à ce moment-là, tout ce dont j'avais besoin, c'était qu'on parle de ma mort, de comment ça allait se passer. Et il ne voulait pas s'y confronter. C'était trop tôt pour lui. Donc, de la même manière qu'il n'était pas sur ma longueur d'onde, je n'étais pas sur la sienne non plus. Et ça, ça a été un moment très dur dans notre couple.

C'est dur de parler d'autre chose, mais oui, on arrive à parler d'autre chose ! On a beaucoup parlé appartement avant de s'installer ensemble, ça c'était super sympa. Et puis de temps en temps, on parle déco, aménagement de l'appartement. Ça nous fait plaisir, même si moi, j'y suis très peu. On parle aussi de ses enfants — qui ne sont pas les miens mais je les considère tout pareil —, de comment on essaie de les protéger le plus possible de tout ça, sans leur cacher les choses non plus, ce qui est un équilibre très difficile à trouver. Oui, on parle de plein de choses comme ça.   

"Quelle envie de tendresse peut-il y avoir ?"

Est-ce qu'on peut encore avoir vraiment une vie de couple sous la maladie ? Tout dépend de ce qu'on attend de la vie de couple, je pense. Mais forcément, ça modifie profondément les lignes, les choses. Clairement, je pense qu'on n'aurait pas construit du tout le même couple s'il n'y avait pas eu cette maladie. Ça nous a facilité la tâche sur certains blocages qu'il y aurait pu avoir. D'un coup, tu ne te poses plus tellement de questions. Et puis il y a forcément des aspects qui font que ça complique énormément la vie de couple. Parce que tu n'es plus Clémentine et Grégoire qui, ensemble, font Clémentine et Grégoire, il y a quand même toujours un petit peu la maladie quelque part. Il faut s'adapter à ça. Et Grégoire n'est plus complètement mon compagnon, puis mon mari, il a été très vite mon aidant. Et ça, c'est quelque chose de très particulier à construire dans un couple. Ça a été très dur.

Sincèrement, je ne vais pas le cacher, dès le départ, j'ai eu beaucoup de souffrance à avoir des relations intimes et de tendresse. Quand l'autre ne sait pas vraiment comment vous toucher sans vous faire mal, c'est très compliqué de le laisser accéder à soi. Et j'en parle très personnellement parce que je sais que Grégoire n'a jamais eu de frein là-dessus et a toujours été très ouvert et très compréhensif, mais moi j'ai toujours eu énormément de freins là-dessus. Quand votre conjoint vous voit vomir cinq fois dans la matinée après vous être levée... Quelle envie de tendresse peut-il avoir derrière, quand il vous voit avec les cheveux tout courts ? Quelle envie de tendresse peut-il avoir quand il est parfois obligé de vous mettre en pyjama parce que le soir, vous n'avez plus l'énergie ? Moi, je n'avais plus l'énergie, parfois, de mettre un pyjama. C'était presque qu'il me portait au lit. Il me soutenait sous les épaules, il me mettait en pyjama, il me couchait, il m'aidait à trouver la bonne position... Laisser l'autre accéder à son corps et à quelque chose de très intime quand on est là-dedans, moi, je reconnais sincèrement que je n'ai pas réussi et que ça reste quelque part un échec, pour moi. Personnel.   

"Pas de happy-end comme dans les contes de fées"  

Je tenais à me marier parce que je trouve que c'est le régime juridique le plus protecteur pour celui qui reste. Notamment pour tout ce qui est rente de réversion. Le pacs n'offre pas ça, il faut le savoir. Et moi, quand je l'ai su, je me suis dit : il n'y a pas moyen qu'il n'ait pas quelque chose tous les mois qui l'aide à continuer de vivre dans l'appartement qu'on a choisi, par exemple. Et puis, plus symboliquement, moi, je voulais que ce qui a fait notre couple ne s'efface pas avec ma mort. Parce que sinon, aux yeux de l'administration, on n'était rien, en fait. Avec un pacs, symboliquement, vous êtes un peu quelque chose. Le mariage, c'est un vrai symbole. C'est dire : Clémentine et Grégoire se sont aimés. C'est important pour moi.   

Grégoire : "Quand on est revenus de l'hôpital Paul-Brousse, on ne savait pas du tout quel était le chemin dans lequel on s'engageait. On savait juste qu'on n'allait pas laisser faire n'importe quelle maladie comme ça ! Et que quand un adversaire se présenterait, il nous trouverait debout sur son chemin et qu'on se battrait jusqu'à la dernière cartouche."

Clémentine : "Je me sens extrêmement chanceuse d'avoir croisé ton chemin et qu'on partage le même depuis quasiment trois ans, jour pour jour. Je ne pouvais pas rêver mieux. Je sais que l'avenir est précaire, incertain, que malheureusement, on n'aura pas de happy-end comme dans les contes de fées. Du coup, je voulais te lire ce passage de la chanson Tu es mon autre : Et si l'un de nous deux tombe, l'arbre de nos vies nous gardera loin de l'ombre, entre ciel et fruit, mais jamais trop loin l'un de l'autre, nous serions maudits. Tu seras ma dernière seconde. Je t'aime."

A suivre : compagnons des mauvais jours.  


Production : Clémentine Lecalot-Vergnaud et Samuel Aslanoff. Réalisation : Laure-Hélène Planchet. Prise de son : Samuel Aslanoff. Mixage : Raphaël Rasson. Visuels : Stéphanie Berlu, Kelsey Suleau. Coordination : Pauline Pennanec’h.

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