Angela Merkel, bilan de 16 années au pouvoir
Dans sa grande tournée européenne d’adieux, le jeudi 16 septembre dernier, la chancelière Angela Merkel se rendait pour la dernière fois en visite officielle à Paris. Ainsi, elle quittait les affaires européennes en saluant son quatrième président français.
Angela Merkel, durant son long mandat, a connu quatre présidents français, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron. Elle est venue en dernière visite officielle à Paris, lors de sa tournée d'adieux, le 16 septembre dernier.
À l’origine…
Fille d’un père pasteur et d’une mère institutrice, Angela Dorothea Merkel naît le 17 juillet 1954, à Hambourg. Son père est nommé plus tard en Allemagne de l’Est, dans le Brandebourg. Ainsi la future chancelière passera son enfance et sa jeunesse en République démocratique allemande, avec pour parcours celui de tous les jeunes est-allemands, mouvements des jeunesses communistes, et ligne du Parti oblige.
Étudiante en physique à l’université de Leipzig, elle obtiendra son doctorat en 1986, puis sera employée à l’Institut de physique-chimie de l’Académie des sciences de RDA, jusqu’en 1990. C’est en cette même année qu’elle entrera au bureau politique du mouvement d’opposition au communisme, le Renouveau Démocratique (Demokratischer Aufbruch) et deviendra la porte-parole adjointe du dernier gouvernement de RDA, mais le premier démocratiquement élu après la chute du mur de Berlin.
Angela et la CDU
Toujours en 1990, après la réunification, Angela Merkel sautera le gué en entrant à la CDU, le parti chrétien démocrate d’Allemagne de l’Ouest, celui du chancelier de l’époque, Helmut Kohl. Ascension fulgurante et étonnante, Angela Merkel deviendra ministre fédéral des Femmes et de la Jeunesse, de 1991 à 1994, puis de ministre de l’Environnement, de la Protection de la nature et de la Sécurité nucléaire, de 1994 à 1998, physicienne oblige.
Enfin huit ans plus tard après "son passage à l’Ouest", elle sera la première femme élue à la tête de la CDU en 1998. Il lui faudra attendre encore sept ans pour succéder au social-démocrate, Gerhard Schröder, à la tête de la chancellerie avec, durant 16 ans, une capacité à gouverner avec différentes coalitions. Parcours étonnant, voire unique en Allemagne, aussi pour d’autres états membres de l’UE.
Angela et sa bonne étoile
Il faut dire qu’Angela Merkel aura eu la chance de bénéficier d’une très bonne situation économique en Allemagne, et un talent, en la faisant prospérer, en la protégeant coûte que coûte, ce qui fut son leitmotiv dans toutes négociations avec les états membres de l’UE durant 16 longues années.
Un mandat de trop ?
C’est à la réélection de son quatrième mandat, le 24 septembre 2017, que la question s’est posée naguère. Elle avait ouvert ses frontières sans aucun contrôle régalien lors de la crise migratoire de 2015 et 2016, accueillant un million de réfugiés ; cette action humanitaire venait de la fille d’un pasteur, qui voyait là une occasion historique de chasser les démons du IIIe Reich, mais ouvrait aussi la porte au parti nationaliste et eurosceptique AfD, qui allait mener son chemin de parlements régionaux au parlement fédéral.
Dernière "touche" aux interrogations, l’attente de la formation d‘un gouvernement fédéral de coalition entre les Chrétiens démocrates de la CDU-CSU et des Sociaux-démocrates du SPD en février 2018, soit une attente de six mois. Suite à cette réélection, la question du mandat de trop pouvait se confirmer dans le sens où, à son départ de la tête de la CDU, après 18 années en novembre 2018, celle qui va lui succéder le 7 décembre 2018, Annegret Kramp-Karrenbauer, cèdera son fauteuil trois années plus tard, le 16 janvier 2021 au fidèle "merkelien" Armin Laschet.
Une chancellerie de crise en crise
Entrée en fonction en 2005, la chancelière n’a eu aucun répit quant à sa gouvernance européenne, ce qui l’a obligée à prendre des positions quelquefois contradictoires avec ce que l’on espérait de son "européanisme".
2005 fut l’année du "Non" français et néerlandais, quant au projet de Traité constitutionnel européen en 2005, et c’est en 2007 que l’UE, sous présidence allemande, mettait en place la Conférence intergouvernementale qui allait aboutir, toujours en 2007, à la signature du Traité de Lisbonne, sous présidence portugaise. Ici, Angela Merkel venait d’imprimer sa présence dans la politique européenne.
Ensuite, dès le choc économique et financier de 2008 qui a durement touché l’UE, Angela Merkel se positionne pour la rigueur budgétaire, ce qui ne l’empêchera pas d’être favorable à un plan européen de sauvetage des banques, comprend qui peut. Car la chancelière vantant la rigueur budgétaire, mais aussi le sauvetage des banques, a tourné le dos à la Grèce. Durant la crise grecque, autant la chancelière que la Troïka européenne, se montreront intraitables avec la Grèce, créant de fait un laboratoire d’eugénisme économique pour les Grecs, auquel le FMI ne s’opposera nullement.
Angela et les migrants
Après la crise financière et économique de 2010, 2015 verra la crise migratoire (citée plus haut), et en 2016 Angela Merkel sera l’interlocutrice privilégiée du président turc Erdoğan. S’en suivra un traité entre la Turquie et l’UE, avec à la clé une aide de six milliards d’euros à la Turquie, ce qui sera très souvent reproché à Angela Merkel.
Puis viendra en 2020 la crise du Covid-19, une nouvelle crise pour Angela avant son départ. Quant à sa politique internationale, bilatérale et multilatérale, s’il est évident que la chancelière s’est toujours placée sous le parapluie du grand frère de Washington, elle a aussi très bien manœuvré avec Moscou, partageant avec les dirigeants russes une origine commune dans l’entendement de la gestion des dossiers de l’époque du Comecon, et surtout le grand avantage de parler russe couramment.
Quid de l’avenir ? Le départ de Merkel inquiète les Allemands
Avec le départ de celle qui fut la "bonne mère de famille" qui savait gérer et préserver le budget, le doute s’inscrit aujourd’hui dans l’esprit des Allemands. Si attachés à l’épargne, et bien loin de l’aventurisme financier, les esprits sont encore et toujours marqués par la crise de 1929, donc la peur de l’inflation qui avait mené au pouvoir les nazis. Dans les esprits s’inscrit l’angoisse du modèle allemand dévissant.
De la transition énergétique à la crise de l’approvisionnement générée par la crise du Covid-19, sans oublier l’accident au canal de Suez, petit à petit, le doute prend la place de l’assurance dans les esprits. Il faut dire que la chancelière a défendu bec et ongles la prospérité de son pays, même si ce dernier compte plus de pauvres qu’en France, comme l’a précisé notre invité le journaliste Kai Littman, fondateur de eurojournalist.eu.
Mais ce que n’a pas fait Angela, ses successeurs devront s’y atteler, la modernisation des infrastructures privées et publiques, telles les autoroutes ou les voies de chemin de fer, entre autres. Ici, le chantier est énorme et pèsera énormément dans le budget allemand. Si durant la crise de 2010, le gouvernement allemand tentait de convaincre les Allemands à dépenser, tant le montant de l’épargne était élevé, aujourd’hui malgré une épargne toujours prospère, et un commerce extérieur qui se porte très bien, c’est le mot dette qui hante les foyers d’outre-Rhin. Car la dette est un mot tabou en Allemagne.
Alors, mandat de trop ou pas, durant ces 16 années au pouvoir, Angela Merkel n’aura laissé personne indifférent.
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