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"Balkans, carrefour sous influences, en 100 questions" de Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin

Journalistes et co-rédacteurs en chef du "Courrier des Balkans", Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin ont publié cette année un ouvrage somme, sur les enjeux stratégiques de cet espace des Balkans. Jean-Arnault Dérens est l'invité de José-Manuel Lamarque. "Un espace sous influence depuis au moins deux siècles", selon les auteurs.
Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
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Temps de lecture : 6min
La côte Adriatique, la baie de Budva et l'Ile de Sveti Stefan, haut lieu du tourisme au Montenegro. Autrefois un village de pêcheurs, aujourd'hui un luxueux complexe hôtelier. (Illustration) (TUUL & BRUNO MORANDI / THE IMAGE BANK RF / GETTY IMAGES)

Focus aujourd'hui sur les Balkans, avec la sortie au printemps dernier, d'un ouvrage clé pour comprendre l'histoire et l'actualité de cet espace, que l'on appelle Les Balkans. Ce carrefour sous influences. Balkans, carrefour sous influences, en 100 questions, paru chez Tallandier, est coécrit par les journalistes Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, corédacteurs en chef du Courrier des Balkans.

franceinfo : Jean-Arnault Dérens, vous êtes historien, journaliste, spécialiste des Balkans, cofondateur de ce fameux média qu'est Le Courrier des Balkans, donc un livre maintenant ?

Jean Arnault Dérens : Oui, un livre qui essaye de présenter les enjeux principaux, historiques, géopolitiques et sociaux de cet espace, que l'on appelle les Balkans. Alors on s'est concentré sur les pays de l'ancienne Yougoslavie et sur l’Albanie. Même si les Balkans peuvent avoir des définitions plus larges.

Ça va un petit peu plus loin quand même... Balkans, c'est un mot turc ?

Oui, tout à fait, vieilles montagnes. Mais cet espace, on ne sait pas exactement où commencent, où se terminent les Balkans. Donc beaucoup de pays ont une identité balkanique qui renvoie fondamentalement au fait qu'ils ont été, durant des siècles, partie intégrante de l'Empire ottoman. C'est ça le point commun, de réunir ces pays dans leur histoire, même si ensuite, ils ont bien sûr tous connu des évolutions plus ou moins différentes.

Donc, ces Balkans, on commence en Slovénie, on s'arrête en Albanie dans votre ouvrage, mais on pourrait aller jusqu'à Thessalonique. Quoi qu'il en soit, on voit l'actualité des Balkans quand on s'y intéresse, parce que c'est une actualité passionnante. Ça reste une poudrière, il faut le dire ?

Alors je pense que les Balkans, c'est un espace qui, depuis au moins deux siècles, est un espace sous influences. C'est pour cela que le livre a justement, comme sous-titre Carrefour sous influences, où les grandes puissances du moment, si on se place au début du XXe siècle, c'était la Russie, l'Empire ottoman, l'Autriche-Hongrie. Aujourd'hui, l'Union européenne, la Russie, la Chine, et de plus en plus la Turquie, où toujours, bien évidemment, ces grandes puissances testent leurs rapports de force. De ce point de vue là, les Balkans, c'est surtout une sorte de plaque sensible révélatrice de beaucoup de contradictions géopolitiques de notre continent, et du monde en général. 

Deux Etats membres de l'Union européenne, la Slovénie, la Croatie, on dit souvent que bon, ce serait bien de faire entrer la Macédoine du Nord ou l'Albanie, mais on n'entend jamais parler de la Serbie. La Serbie, ça reste toujours le chat noir ?

Alors la Serbie a certainement une mauvaise image de marque…

Ce qui est absolument insupportable, il faut le dire… 

C'est un héritage, en tout cas, des guerres des années 90. Les Balkans occidentaux ont tous théoriquement vocation à rejoindre l'Union européenne. Dans la logique bureaucratique de Bruxelles, on distingue même deux pays qui seraient les plus avancés, parce qu'ils ont ouvert leurs chapitres de négociations, c'est la Serbie et le Monténégro. Mais de toute manière, le processus, aujourd'hui, est bloqué pour l'ensemble de la région, et il est bloqué fondamentalement parce que l'Union européenne n'a pas de projet défini pour cet espace...

Mais en Europe, personne ne s'occupe des Balkans, alors que quelque part, les Balkans, c'est un socle ?

C'est un socle, c'est un étranger extrêmement proche. C'est quelque chose qui nous concerne directement. Aujourd'hui, par exemple, les Balkans sont aussi des espaces en train de se vider de leur population, parce que les gens ont attendu trop longtemps cette intégration qui était promise. Et ils se disent : puisque l'Union européenne ne vient pas à nous, on va aller dans l'Union européenne avec nos pieds, et ceux qui s'en vont, ce sont des gens compétents, des gens diplômés, depuis le neurochirurgien jusqu'au plombier, des gens qui ont des compétences...

Avec quand même une incongruité, parce que les Américains s'en sont mêlés, c'est la Bosnie-Herzégovine. Les Accords de Dayton, c'est quand même n'importe quoi aujourd'hui ? 

Alors les Accords de Dayton (NDLR : signés le 14 décembre 1995 à Paris, mettant fin aux combats interethniques qui ont lieu en Bosnie-Herzégovine) ont fait de la Bosnie-Herzégovine un État qui est très largement non fonctionnel. Mais moi, j'ai tendance à dire que les Accords de Dayton sont la plus mauvaise solution possible. Sauf qu'il n’y en a pas d'autres. 

Le livre de Jean-Arnault Dérens et Laurent Geslin, journalistes et co-rédacteurs en chef du "Courrier des Balkans". (TALLANDIER EDITIONS)

Trois Premiers ministres, un catholique, un orthodoxe et un musulman avec 200 ministres, je ne sais plus combien de parlements, un grand observateur pour les Nations unies qui, pour l'instant, est allemand. On peut dire la vérité, ça peut péter d'un jour à l'autre ?  

Je pense qu'il y a paradoxalement une logique de mauvaise stabilité. La vraie question qui est essentielle pour tous ces pays, c'est la question de l'état de droit. Si l'État de droit fonctionnait, si les gens pouvaient faire des études, construire leur vie, trouver un emploi, développer des projets sans devoir passer sous les fourches caudines des réseaux clientélistes des partis au pouvoir, la situation serait très différente. Or, c’est de l'État de droit que les Balkans ont le plus besoin. Je pense que notre sort, de toute façon, est lié aux Balkans. Géographiquement, nous sommes dans le même bateau.

Et les Balkans ont vraiment besoin de nous, comme nous avons besoin des Balkans. Il serait temps de sortir de ce cadre figé et surtout, je dirais, de cette pseudo-stabilité qui a été trop longtemps la seule préoccupation des Européens. Mais c'est comme une stabilité a minima, juste que ça ne bouge pas, qu'il n'y ait pas de nouvelles guerres. Par contre, il y a la nécessité pour tous les Européens de faire en sorte que ces Balkans puissent connaître un fonctionnement normal des sociétés. 

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