L'Europe face à la guerre : "On est dans une situation où on ne veut plus perdre la face", selon Jacques Baud
José-Manuel Lamarque reçoit aujourd'hui l'écrivain Jacques Baud, ancien officier du renseignement stratégique suisse, auteur du livre "Opération Z", chez Max Milo.
Aujourd'hui, concernant le conflit russo-ukrainien, c'est un Suisse qui va nous parler de l'Europe. Écrivain et spécialiste du renseignement, Jacques Baud est l'auteur de Opération Z, édité chez Max Milo. Il est membre du renseignement stratégique suisse, spécialiste des pays de l'Est, et chef de la doctrine des opérations de la paix aux Nations Unies.
franceinfo : Vous étiez aussi à l'OTAN à Bruxelles, et justement nous Européens, nous sommes aux portes de ce conflit. Quelle est votre vision de l'Europe ?
Jacques Baud : Comme je l'ai souvent dit concernant ce conflit, mon idée de l'Europe par rapport à un conflit et pas seulement de l'Europe - à vrai dire de toutes les organisations multilatérales par rapport à un conflit - c’est de rester au-dessus des conflits. Pour moi, c'est le privilège des institutions multilatérales de ne pas descendre au niveau des parties du conflit. Et dans ce cadre-là, j'ai été déçu par l'approche qui a été choisie par l'Union européenne.
Et comme je l'ai dit souvent aussi, je comprends les Ukrainiens. J'étais moi-même militaire, donc si je devais défendre mon pays, je le ferais. Je comprends que les Ukrainiens le fassent et ça, c'est tout à fait légitime. Mais quand on a le privilège de ne pas être dans un conflit, je déplore qu'on s'y mette délibérément et qu'on devienne une partie au conflit. Et j'ai le sentiment qu'on a pris des décisions sous le coup de l'émotion.
Comme les sanctions ?
Voilà, des sanctions dont on n'a pas vraiment perçu les implications, sans savoir quelles seraient les conséquences à long terme. Et surtout, c'est qu'on n'a manifestement pas analysé ce qu'était la Russie, et on n'a manifestement pas compris ce dont elle était capable, et la résilience de son économie. Et on se trouve maintenant entraîné dans des difficultés économiques qui nous touchent nous-mêmes.
L'énergie comme arme de guerre, c'était prévisible, non ?
Oui, c'était prévisible parce qu'en 2014, effectivement, les Occidentaux avaient déjà pris des mesures liées à l'énergie contre la Russie, et elles avaient eu relativement du succès d'ailleurs à l'époque, mais dans un contexte très particulier, puisque le prix des produits pétroliers était extrêmement bas, les revenus de la Russie étaient déjà naturellement bas en raison du marché, mais ils se sont trouvés grevés par les sanctions.
Alors qu'en 2022, on est sur des phénomènes totalement différents, puisque avec la crise du Covid, on a eu un rétrécissement de l'offre dans tous les domaines, un rétrécissement aussi des chaînes logistiques, y compris dans les domaines des produits pétroliers. Et quand les sanctions ont été appliquées sur les produits pétroliers début 2022 à la Russie, ça n'a fait qu'accentuer cette contraction de l'offre. Et quand il y a contraction de l'offre, il y a explosion des prix.
On est dans une situation, où on ne veut plus perdre la face. On voit bien que l'Europe, aujourd'hui, elle s'est engagée dans une sorte de cul-de-sac, qu'elle va souffrir d'un problème énergétique à cause de ses sanctions. Et je pense que d'une manière plus générale, l'Europe et l'Occident doivent revenir à la réalité des choses. On a un bloc eurasiatique qui se renforce avec une Chine qui est incontestablement un des grands acteurs mondiaux.
Et je reprends un peu ce que disait le ministre indien des Affaires étrangères à Bratislava cette année, que l'Europe doit arrêter de penser que ses problèmes sont les problèmes du monde, et donc avoir un regard plus sobre sur le monde.
Mais vous le dites aussi dans votre ouvrage, le problème de l'Ouest, de l'Occident, c'est de travailler sur le temps court alors que les autres travaillent sur le temps long ?
C'est exact, c'est vrai. Et c'est une caractéristique aussi des grands pays. On parle de la Chine, on parle de la Russie qui forme maintenant le noyau, mais aussi de l'Inde d’ailleurs.
La fameuse Eurasie ?
C'est cette fameuse Eurasie qui est en train de se consolider grâce à nos sanctions. D'une certaine manière, ce sont des pays immenses, et ce sont des gens qui doivent réfléchir sur de longues années. Il ne peuvent pas réfléchir simplement sur quatre ans d'un mandat présidentiel. Je pense qu'ils ont tous - la Chine, la Russie et l'Inde - une réflexion beaucoup plus stratégique que ce qu'on a en Occident, et on a perdu ce regard.
On a des modes de gouvernance en Europe qui sont aujourd'hui plus basés sur le tweet, que sur la décision réfléchie. Ça veut dire, en d'autres termes, qu'on est dans la réponse immédiate.
Opération Z de Jacques Baud aux éditions Max Milo.
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