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Micro européen. La Bosnie-Herzégovine existe bien !

L’exemple bosnien est la marque de la cécité européenne. Chaos, corruption, pollution, fuite des habitants à l'étranger, ce pays des Balkans, marqué par l'indépendance en avril 1992, suivie d'une guerre de quatre ans, a bien du mal à être pris en compte en Europe.

Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
Radio France
Publié
Temps de lecture : 13min
17 janvier 2020. Sarajevo, capitale de la Bosnie-Herzégovine, l'une des 10 villes les plus polluées du monde. La cité est très souvent recouverte d'un épais brouillard de pollution. Les habitants doivent restreindre leurs déplacements.  (EPA VIA MAXPPP)

La Bosnie-Herzégovine est une république fédérale composée de 3,5 millions d’habitants représentant des groupes ethniques spécifiés dans sa constitution, les Bosniaques, les Serbes et les Croates, tous trois appelés Bosniens en tant que citoyens de cet état. 

Pays balkanique, il partage ses frontières avec la Serbie, la Croatie et le Monténégro, il possède aussi une côte sur l’Adriatique. République fédérale, la Bosnie Herzégovine est composée de trois entités autonomes, la Fédération de Bosnie-Herzégovine, la République serbe de Bosnie et le district de Brcko. Sa capitale est Sarajevo marquée par l’histoire de la Première Guerre mondiale.

Durant les guerres de Yougoslavie, la Bosnie-Herzégovine proclama son indépendance en 1992, avec à la clé, la guerre de Bosnie et les accords de Dayton qui y mettront fin en décembre 1995. Membre du Conseil de l’Europe depuis 2002, elle attend son entrée dans l’Union européenne et l’OTAN.

Une gouvernance atypique

Par les accords de Dayton qui ont scindé en trois entités le pays, la plus haute autorité de la Bosnie- Herzégovine n’est pas bosnienne, mais autrichienne, le diplomate Valentin Inzko. Il est le haut représentant international nommé par le Conseil de mise en œuvre des accords de paix et doit rendre compte chaque semestre au Conseil de sécurité des Nations-Unies.

Cette première étape montre déjà l’incompréhensible gouvernance bosnienne, c’est-à-dire un pays sous tutelle qu’on le veuille ou non car depuis Dayton, il s’est passé un quart de siècle. Ainsi, dans cette gouvernance vient un second niveau, c’est-à-dire une présidence collégiale représentant les trois communautés serbe, croate et bosniaque, entendons que serbe signifie orthodoxe, croate signifie catholique, et bosniaque, musulman. Seul le représentant serbe est élu en république serbe de Bosnie, les deux autres, croate et cosniaque sont élus en Fédération de Bosnie-Herzégovine.

Enfin, les habitants du district de Brcko ont le choix, c’est-à-dire voter soit en république serbe de Bosnie ou dans la fédération de Bosnie-Herzégovine. Mais le casse-tête bosnien ne se termine point ici, car les trois présidents prennent chacun leur tour pour huit mois la présidence collégiale. Enfin, le dernier niveau de gouvernance est le poste de Président du Conseil des ministres.

Une mosaïque pastel ou vive

Si les peuples vivant en Bosnie-Herzégovine ont depuis toujours, et surtout sous l’Empire austro-hongrois, su vivre ensemble - ce qui est encore le cas aujourd’hui, comme l’a précisé notre invitée la journaliste Zera Sikias - certaines plaies ne sont pas refermées, et des ombres planent encore et toujours sur le pays.

La guerre de Bosnie de 1992 à 1995 a été sanglante, on se souvient du massacre de Srebrenica ou  près de 8 000 hommes et garçons musulmans avaient été tués par les Serbes de Bosnie en 1995. Aujourd’hui, la partition du pays en trois communautés pousse certains partis à la sécession. Certains Serbes ou Croates de Bosnie-Herzégovine sont tentés soit pas une autonomie totale au sein de cet état. Pour d’autres, il serait plus logique que chaque territoire rejoigne le pays frère, c’est-à-dire les Serbes vers la Serbie et les Croates vers la Croatie, resteraient alors un territoire bosniaque. Ainsi, il règne en Bosnie-Herzégovine un doux mélange entre le "vivre ensemble", et certaines velléités de faire sécession.

Des accords qui n’ont rien résolu…

On ne peut pas dire que les accords de Dayton furent une réussite, car les effets de ces accords se font encore sentir. Une nouvelle fois, la mesure balkanique n’a pas été prise en compte. Du 1er au 21 novembre 1995, les accords dits de Dayton furent négociés sur la base aérienne américaine de Wright-Patterson dans l’Ohio, proche de la ville de Dayton. 

Ces négociations se voulaient de mettre fin au conflit de Bosnie-Herzégovine. Une fois de plus et peut-être de trop, le "gendarme du monde", c’est-à-dire les États-Unis étaient à la manœuvre. Ainsi y étaient réunis le président serbe Slobodan Milosevic, le président croate Franjo Tudjman, le président bosniaque Alija Izetbegovic, encadrés par deux Américains, Richard Holbrooke et Christopher Hill. Enfin, ces accords furent signés à Paris le 14 décembre 1995.

Encore aujourd’hui, ces accords prouvent qu’ils ne furent qu’un pis-aller, et ne réglèrent strictement rien dans la région. Parce que les conflits dits des guerres de Yougoslavie furent au-delà des frontières de la Bosnie-Herzégovine, ce fut toute l’ex-Yougoslavie qui s’embrasa. Les combats firent rage de part et d’autre, et malheureusement, massacres, exactions et début de nettoyage ethnique ont ruiné le pays.

Le réveil tardif des Européens, conjugué avec le besoin d’immixtion américaine par le biais de l’Otan, laisseront encore longtemps des traces dans ce qui n’est plus aujourd’hui la Yougoslavie, mais des états morcelés, certains à l’abri par leur adhésion à l’UE, et d’autres soit en jachère, soit à la dérive.

Un nouveau drame à Sarajevo

Depuis le début de l’hiver, Sarajevo figure parmi les 10 villes les plus polluées du monde, battant des records de pollution atmosphérique et dépassant largement les normes de sécurité de l’UE. En cause, un chauffage central rare dans cette capitale, des centrales thermiques fonctionnant au charbon brun, donc très polluant, un parc automobile hors d’âge, une population appauvrie se chauffant au bois ou au charbon, voire avec des pneus ; des transports domestiques vétustes, et cette pollution est la cause de 3 000 décès par an. 

Des Balkans encore et toujours oubliés

Une fois de plus, la pollution qui règne en Bosnie-Herzégovine, voire au Kosovo, est la preuve du manque de prise en compte de la réalité balkanique par l’Europe, comme ce fut le cas à la fin du premier et du second conflit mondial durant le XXe siècle. Si la Yougoslavie de Tito masqua l’existence d’une partie des Balkans durant moins d’un demi-siècle, cette partie géographique de l’Europe se rappela au bon souvenir des Européens lors des guerres de Yougoslavie des années 90.

Homme malade de l’Europe ou poudrière, les Balkans le sont toujours, pour le plus grand malheur des peuples balkaniques. Cette mosaïque d’identités et de religions du sud de l’Europe est le vif argent d’un quotidien par trop aveuglant. En effet, ce n’est pas parce que la Croatie et la Slovénie sont membres de l’UE, ou que l’ensemble des États de l’ex-Yougoslavie ont été accueillis au sein du Conseil de l’Europe que la question balkanique a été considérée à sa juste valeur. Aujourd’hui, à l’heure de la présidence croate de l’Union européenne, il est fortement souhaitable que les Balkans deviennent une priorité européenne. 

Un manque de priorité européenne pour les Balkans 

Il faut bien comprendre que les adhésions au sein de l’UE ou du Conseil de l’Europe, bien qu’elles soient importantes, ne sont qu’un placebo pour les peuples de l’ex-Yougoslavie. La corruption régnante, l’exil économique des peuples, les pollutions, sont la preuve qu’un travail de longue haleine est demandé afin de ramener une stabilité dans cette aire géographique qui en a fortement besoin.

Les déclarations d’indépendance, la création d’états, de gouvernements, d’institutions parlementaires et de représentations diplomatiques n’apportent en rien la preuve d’une maturité "politique". Si la Yougoslavie de Tito était un "village Potemkine", sa chute a donné naissance à de petits "villages Potemkine". Pour preuve, l’instabilité du Monténégro, de la Bosnie-Herzégovine, les tiraillements entre la Serbie et les autres états balkaniques, la perte de population en Croatie, et tant de maux qui secouent ces états balkaniques qui méritent bien plus qu’un siège dans les assemblées européennes.

Et les accords de Dayton sont une nouvelle fois la preuve qu’une politique occidentale "sparadrap" n’a rien résolu. Il est tout de même inimaginable qu’en ce début de XXIe siècle, avec la puissance que représente l’Union européenne, nul ne s’investisse dans la réalité balkanique. Ces peuples ancestraux à l’histoire commune européenne, leurs cultures tel que le glagolitique en Croatie, leurs us et coutumes, savoir-faire, terroir et patrimoine ne sont en rien l’écume géographique de notre continent, mais plutôt notre richesse.

Une richesse balkanique négligée

Il n’est plus question de parler de "Yougos" comme naguère, que ce soit les Slovènes, les Croates, les Serbes, les Bosniens, les Bosniaques, les Monténégrins, les Kosovars, les Albanais et les Macédoniens, tous furent acteurs durant des siècles de notre continent. La liste des artistes, écrivains,  inventeurs, militaires, architectes, politiques, navigateurs serait trop longue ici, mais il s’agit bien de notre fortune européenne commune.

Pourquoi donc "faire attendre" ceux qui ne sont toujours pas membres du club européen ou de l’Otan, non pas en les intégrant de fait, mais pourquoi ne pas mettre en place par le biais, pourquoi pas au Conseil de l’Europe, d'une entité européenne balkanique, c’est-à-dire une représentation d’étude et d’échange où ces pays de l’ex-Yougoslavie travailleraient de concert avec les partenaires de l’ouest, sans que ces derniers soient des donneurs de leçons ou se prennent pour des censeurs, mais au contraire des facilitateurs, des intermédiaires efficaces, apportant un support salvateur afin que, petit à petit, soient résolus les maux des pays balkaniques.

C’est très bien que la Slovénie et la Croatie soient membres de l’UE, c’est très bien que tous les autres soient membres du Conseil de l’Europe, c’est très bien que certains soient membres de la Francophonie, ou d’autres soient des observateurs, mais ce n’est pas en offrant une place attitrée et un "rond de serviette" que l’addition du déjeuner sera la même pour tous les convives.

Il reste tant à faire pour ces pays, et le temps passe, trop vite, et le monde change aussi vite, et les bouleversements vécus et à venir sont tellement anxiogènes, que sans une volonté commune européenne, une volonté politique et non politicienne, sans un bras armé industriel et économique, un apport géopolitique, universitaire, académique, environnemental, alpin, maritime, nous courons, une nouvelle fois, le risque d’un embrasement de cette région.

Les Balkans, "l'homme malade" de l'Europe

Oui les Balkans sont encore et toujours l’homme malade de l’Europe, oui ils sont encore et toujours une poudrière, et oui, une nouvelle fois les Européens restent au balcon à les regarder, comme nous sommes restés trop longtemps à regarder s’enflammer la Yougoslavie au début du conflit des années 90, alors que nous aurions pu arrêter à temps le début de ces combats, au lieu de nous en mêler avec retard.

Ne réitérons point les erreurs d’un passé très proche, car derrière les noms des états, il y a des hommes, des femmes, des enfants, tous européens, mais encore aujourd’hui hélas, de seconde zone.  

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