Royaume-Uni : crise aiguë et grosse inquiétude sur l'avenir
Micro européen continue de prendre le pouls des pays européens, et s'intéresse aujourd'hui à la Grande-Bretagne, United Kingdom, avec Philip Turle, correspondant en France pour de nombreux médias britanniques.
franceinfo : Comment les Britanniques perçoivent-ils 2023 ?
Philip Turle : Je dirais qu'on a passé une année ubuesque en Grande-Bretagne, comme on a rarement connu. Je crois qu'on a jamais connu une année avec deux monarques, le jubilé de la reine, la mort de la reine, puis l'arrivée de Charles III, ensuite trois premiers ministres, Boris Johnson, et puis ensuite, Liz Truss, ensuite Rishi Sunak, et cinq ministres des Finances. Et maintenant, les Britanniques arrivent en 2023, avec l'inflation à presque 10%, la crise énergétique, le pouvoir d'achat en berne, et beaucoup d'inquiétudes sur la façon de joindre les deux bouts à la fin de chaque mois.
Et c'est à cause de cela que nous avons une série de grèves, même des grèves pour la toute première fois dans l'histoire de certains secteurs, comme pour les infirmières, ça fait 106 ans qu’existe le corps des infirmières, c'est la première fois que les infirmières sont en grève parce qu'elles disent qu'avec les crises actuelles, elles ont perdu 20% de leur pouvoir d'achat avec l'inflation et l'augmentation des prix. "Le gouvernement nous propose 5%, ça ne suffit pas. Donc on fait grève pour la première fois dans l'histoire de nos syndicats…"
Aujourd'hui, on dit que certains Britanniques ne font plus qu'un seul repas par jour ?
Pas seulement cela. Vous avez de plus en plus de Britanniques – et même dans certains quartiers de Londres – qui sont obligés d'aller chercher de la nourriture dans ce qu'on appelle les food banks, les banques alimentaires, où ils peuvent récupérer une fois par jour de la nourriture, parce qu'ils ne peuvent plus payer la nourriture dans les boutiques. Donc, c'est une crise aiguë qui est insolite en Grande-Bretagne, dans une situation où il y a une grosse inquiétude sur l'avenir.
Et en plus de cela, ce qui est assez extraordinaire, c'est le soutien pour les grévistes, ce n’est pas seulement les infirmières, ce sont les conducteurs de train, les professeurs, qui feront grève la semaine prochaine, les chauffeurs de camions, les douaniers. Il y a beaucoup de secteurs qui font grève à répétition, ou à tour de rôle. Il y a une sympathie du grand public pour ces grévistes, parce qu'on comprend qu'on est tous dans la même situation, une situation tellement grave que chacun peut se trouver, à la fin du mois, sans les moyens pour payer ses factures.
Philippe Turle, est-ce que le gouvernement de Rishi Sunak peut-il encore tenir, face à lui, un grand inconnu qui s'appelle Keir Starmer, le chef du Parti travailliste, donc de l'opposition…
C'est la grande question. Ils peuvent tenir jusqu'à l'année prochaine, au plus tard début 2025, pour les élections générales. Mais dans les sondages, ça ne va pas très fort avec le Parti conservateur. Ils sont au pouvoir depuis 13 ans, ils sont deux fois moins populaires que le Parti travailliste. Alors il faut comprendre que c'est plutôt un soutien pour les travaillistes, par fatigue du Parti conservateur. Et Keir Starmer reste un homme politique assez contesté, et inconnu du grand public, qui n'a pas une confiance énorme, et pas la confiance qu'il faudrait vraiment pour être un Premier ministre en première ligne, pour résoudre tous les problèmes.
Le bruit court que peut-être certains, certaines, au Royaume-Uni, voudraient rejoindre l'Union européenne ?
Pendant les fêtes de Noël, avec mes amis en Grande-Bretagne, on a beaucoup parlé de ce sujet, et on m'a dit : vous trouverez de plus en plus difficilement quelqu'un qui admettrait qu'il a voté pour le Brexit, parce que le Brexit n'a pas du tout amené tous les bénéfices que la population attendait, ou qui ont été promis par Boris Johnson. Beaucoup de gens disent : mais ça n'a absolument servi à rien. Et peut-être au Royaume-Uni, le parcours du Brexit n'a rien fait pour arranger la situation.
Le moral en berne avec bientôt le couronnement du roi. Mais là, ça va coûter 100 millions de livres…
Encore une polémique, parce qu'on dit voilà une bonne occasion pour fêter le nouveau roi Charles III. Ce sera le 6 mai prochain. Avec un coût estimé, à peu près, à 120 millions d'euros à payer par l'État. Il faut savoir que c'est la famille royale qui paie les mariages, mais c'est l'État qui paye les couronnements. Et beaucoup de gens disent : mais comment ça se fait que vous pouvez dépenser 120 millions d'euros pour un couronnement ? Alors que nous, les Britanniques, on n’arrive pas à joindre les deux bouts à la fin du mois. Donc beaucoup de contestations, parce que ça fait l'unanimité dans le public britannique.
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