Saint-Exupéry et l'héritage européen du "Petit Prince"

La "Revue des Deux Mondes" dédie son numéro d'octobre à Antoine de Saint-Exupéry, avec un inédit, la lettre à Guillaumet. Un auteur et un homme d'actualité. On célèbre cette année les 80 ans de sa mort.
Article rédigé par franceinfo - José-Manuel Lamarque
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Aviateur et écrivain, Antoine de Saint-Exupéry, ici le 1er janvier 1936, a laissé un magnifique héritage au monde entier, "Le Petit Prince", toujours autant d'actualité. (KEYSTONE-FRANCE / GAMMA-KEYSTONE VIA GETTY IMAGES)

Antoine de St Exupéry, un homme d’actualité. Micro européen évoque aujourd'hui la dernière parution d'octobre, de la Revue des Deux Mondes, consacrée à Antoine de Saint-Exupéry, avec Aurélie Julia, la directrice de ce mensuel qui titre son éditorial Le prince nomade. "Il convient en permanence de tenir réveillé en l’homme ce qui est grand, et de le convertir à sa propre grandeur", écrivait ce grand homme.  

franceinfo : Aurélie Julia, vous mettez en lumière Antoine de Saint-Exupéry, un visionnaire et un témoin de son temps, que l'on pourrait adapter à notre époque dans ces temps troublés européens ? 

Aurélia Julia : Exactement, pour moi, Saint-Exupéry est un auteur emblématique de la Revue des Deux Mondes. La Revue est née en 1829. Donc dans cinq ans, nous allons fêter nos 200 ans. Et que signifie ce titre ? Que signifient l'ancien monde et le nouveau monde, c’est-à-dire l'Europe et les États-Unis ? La Revue des Deux Mondes voulait être une passerelle entre ces deux continents. C'est une revue de voyage à l'origine, où vous trouvez des récits de voyage absolument formidables. Et Saint-Exupéry est un voyageur, justement.  

L'Europe, on ne sait pas trop où elle va aujourd'hui, et comment va-t-elle se recomposer, parce qu'il y a certains pays qui font un peu bande à part. Saint-Exupéry qui était un visionnaire, était un homme aussi de grand paradoxe. C'est pour ça qu'il est aussi d'actualité, parce qu'il n'était pas à la mode à son époque. Il était très lu, mais pas à la mode. Et, paradoxe, il n'a jamais été très apprécié ?

Ses livres rencontraient un grand succès, et le succès, évidemment, appelle la jalousie de certains. On ne savait pas où le classer. Les littéraires considéraient Saint-Exupéry comme un aviateur, et les aviateurs continuaient de le considérer comme un romancier, un écrivain.

Ses ouvrages Courrier Sud, Vol de Nuit, Terre des hommes, Pilote de Guerre, bien sûr, Le Petit Prince, 550 traductions...

C'est le livre le plus lu et le plus traduit à l'heure actuelle, après la Bible. Donc, à l'heure où nous parlons, peut-être que d'autres traductions sont en cours. 

Un auteur, dans votre revue, Jean-Claude Perrier, écrit que Saint-Exupéry était tout à rebours du conventionnel, du bourgeois, de l'ordinaire ?

Peut-être qu'on peut parler de sa modernité, si on l’évoque. Pilote, Saint-Exupéry est né en 1900, il est mort en 1944. La fin du XIXe et le début du XXe, ce sont les débuts de l'aviation, l'Aéropostale, avec Mermoz notamment. Mais je crois que l'aviation correspondait vraiment à son caractère. Il se sent mal sur terre et c'est un côté très moderne finalement. Saint-Exupéry était quelqu'un qui n'avait pas peur, qui aimait relever les défis, et on sait que l'aviation était source de danger.

Aventure, danger, mais la réalité du pays, telle qu'était l'Europe à l'époque, le révoltait. Il était effaré de voir la France tomber en 1940. Il voyait aussi la société française qui aussi le révoltait, c'est la raison pour laquelle je dis que dans les temps troublés européens qu'on traverse, il faut peut-être relire Saint-Exupéry ? 

Il faut absolument relire Saint-Ex, et c'est aussi un écrivain engagé. Ça, je crois qu'on peut le dire. Un pilote engagé et un écrivain engagé. Moi, ce qui me touche beaucoup dans ce que j'ai pu lire à travers ces articles, c'est qu’il est quelqu'un qui était très attentionné à l'égard des hommes, et qui voulait relier les hommes entre eux. Et il était désolé de voir cette Europe qui se déchirait notamment, et c'est pour ça qu'il voulait absolument avoir cette réconciliation, et qu'il allait chercher de l'aide aux Etats-Unis. 

Ici on comprend une de ses maximes : "Frère, si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m'enrichis..."  

Exactement.  

Le témoignage de Saint-Exupéry, c'est l'inédit dans la Revue des Deux Mondes, sa lettre à Guillaumet, un autre aviateur qui va revenir en France. Et là, il lui dit : "Écoute, personne ne m'aime, mais si tu me gardes ton amitié, prend mon appartement"...  

C'est une lettre qu'il a envoyée en automne 1934, là où vraiment les ouvrages de Saint-Exupéry excitaient la jalousie, et il était très déprécié à l'époque, très critiqué notamment par des auteurs comme Breton et Maritain. 

Et votre volonté aujourd'hui dans le numéro d'octobre, c'est parce que vous aussi, vous le trouvez d'actualité ? 

Je le trouve d'actualité. La Revue des Deux Mondes essaie toujours de nouer la tradition et la modernité, et c'est en ce sens qu'on a voulu faire un focus sur Saint-Exupéry. Il y a un prétexte, on célèbre cette année les 80 ans de sa mort. Mais au-delà de ce prétexte, il y a vraiment une volonté de redécouvrir Saint-Exupéry, ou peut-être de le découvrir. Pour moi, c'est un auteur dont tout le monde connaît le nom, mais qui est plutôt méconnu. 

Toujours d'actualité, Le Petit Prince ?

Oui, c'est un conte philosophique et je pense que la philosophie a toujours des choses à nous dire aujourd'hui. 

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