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la fonction sociale et cachée des déchets

Jusqu'au 25 novembre, se tient la Semaine Européenne de la Réduction des déchets. Le but, c'est de sensibiliser les populations à l'importance de réduire la quantité de déchets. Avec Anne-Laure Gannac de Psychologie Magazine.
Article rédigé par franceinfo
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Rien qu'en France, nous en produisons près de 900 millions de tonnes par an, et à l'échelle individuelle, c'est plus d'1kg d'ordures ménagères que nous jetons chaque jour, soit deux fois plus qu'il y a 40 ans. Et la gestion de ces déchets, on le sait, a un coût, pas seulement économique mais environnemental.

Le point de vue plus symbolique

Le rapport que nous avons à nos déchets est quand même troublant : d'un côté, on n'en a jamais autant produit. Normal : on n'a jamais autant consommé, il faut bien que cela laisse des traces... Mais d'un autre côté, ou plutôt par lien de cause à effet, on n'a jamais été autant soucieux de recycler, de jeter moins, etc... C'est paradoxal : la logique voudrait que, pour satisfaire cette volonté de produire moins de déchets, on consomme moins, tout simplement !..

Ce paradoxe est assez symptomatique de notre époque, marquée à la fois par un individualisme triomphant : d'abord je pense à moi, à mon plaisir. Mais aussi, marquée par
un souci, une conscience du monde, de l'écologie au sens le plus large. Au risque
de passer du plaisir (de la consommation), à la culpabilité (de trop produire
de déchets).

**C'est

vrai qu' aujourd'hui, ** si ** on ** n'aime ** pas ** produire ** trop ** de ** déchets ** c'est ** parce ** qu'on ** a cette conscience écologique , ** mais ** c'est ** aussi ** parce ** que, ** de ** manière ** plus ** prosaïque, ** on ** n'aime ** pas ** les ** déchets ! **

Vous avez raison, ce rapport paradoxal aux déchets n'est pas nouveau du tout. Il est même très primaire : pour le comprendre, il
faut revenir au premier déchet avec lequel on est en contact. C'est quoi ?
C'est le déchet organique, ce déchet qui vient de nous, que le bébé produit d'abord sans le vouloir. Et il est très heureux et fier de ce déchet. Quand, plus
tard, sa mère le met sur le pot et qu'il lui fait l'honneur de répondre à sa
demande, c'est un cadeau qu'il lui fait. Sauf que l'éducation intervient et ce
déchet devient, lui dit-on, sale : on ne joue pas avec, on ne le montre
pas. Il devient, d'une certaine façon, entaché de honte. A l'excès,
parfois ! Pour la psychanalyse, nos tendances obsessionnelles à l'ordre,
au rangement... les manies hygiénistes de certains qui peuvent tourner aux
troubles obsessionnels compulsifs, les TOC, s'enracinent dans cette phase dite "anale" du développement de l'enfant.

**Et

donc, partant de là, il serait normal d'avoir honte de nos déchets, de vouloir
les cacher ?**

Oui, et
du fait que rien n'est plus intime que le déchet. Vous vous souvenez peut-être
de ces deux photographes français qui avaient photographié des poubelles de
stars, il y a cinq ans. Cela avait eu un succès incroyable, puisque le plaisir
voyeuriste était sollicité à l'extrême. On ne pouvait pas pénétrer davantage
l'intimité de stars. Pourquoi ? Parce que ce qu'on jette, c'est ce
qu'on est, d'une certaine façon, c'est du moins le reflet de nos goûts, de nos
comportements les plus privés. Donc, on cache. Mais comment ? Pendant
longtemps, on s'est efforcé de ne pas jeter, surtout dans les campagnes, on
brûlait, on enterrait, on recyclait, mais on ne jetait pas. Et puis le super
consommateur urbain est arrivé, contraint de mettre tout ça à la poubelle. Mais
toujours en cachant, en enfermant ses détritus dans de gros sacs noirs,
bien ficelés.

**Toujours

de ce point de vue symbolique, comment considérer la tendance actuelle au
recyclage ? **

D'abord, cette tendance il faut se souvenir qu'elle est ancienne pour ne pas dire première, elle a seulement été abandonnée par la plupart d'entre nous pendant 30-40 ans, au bénéfice du luxe de jeter !

Et qu'est-ce que le principe du vide-grenier sinon acheter ce que d'autres ne veulent plus, leurs déchets ?

Pour
vous répondre, d'un côté, on peut voir le recyclage comme la négation absolue du déchet : c'est dire au produit "tu étais vivant, tu redeviendras vivant". Une manière de régler nos comptes avec notre phobie de la mort, à laquelle le déchet
renvoie naturellement. Par son odeur, par sa
putréfaction, etc...

**Sauf que, d'un autre côté, recycler c'est

rendre utile le déchet...**

Exactement. Et donc c'est une manière de le
réhabiliter. Dans nos sociétés occidentales, le déchet renvoie forcément à
l'inutile. Un "déchet de la société" c'est un bon à rien, un "polluant"... Sauf que non, il y a une fonction du déchet. Pour
user d'une autre métaphore, Freud compare le rêve à un déchet, mais un déchet
utile, évidemment, car chargé de sens. Donc recycler, c'est rappeler l'utilité
possible de ce reste dont on voudrait trop vite se débarrasser. C'est en faire
une ressource, à tous les sens du terme. Mais on a déjà bien avancé dans ce sens là, et
la crise n'y est pas pour rien : voyez, par exemple, le succès des
vide-greniers, depuis quelques années. Et qu'est-ce que le principe du vide-grenier sinon acheter ce que d'autres ne veulent plus, leurs déchets ?
C'est étonnant de noter là que ce qui, habituellement dégoûte, le reste, le
déchet, devient, tout à coup, ce qui circule entre les gens, ce qui fait lien.

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