La nudité version Femen: provocation ou coup médiatique?
La stratégie de ces jeunes féministes ne passe pas
inaperçue, puisque, comme on le voit depuis 2009, elles manifestent seins nus,
en short noir, des slogans peints sur leur torse.
La nudité est-elle une arme de féministes comme les
autres ?
Il n'est pas rien de dire que la nudité est une arme, estime
Anne-Laure Gannac, de Psychologies Magazine . Que cela en soit une dans les pays
soumis à des vents de conservatisme religieux, on le comprend aisément, et chez
nous, jusque dans les années 70, la nudité était encore terriblement choquante
quand elle s'affichait dans l'espace public.
Mais aujourd'hui, la nudité est partout dans la rue sur des
panneaux publicitaires grand format, dans les magazines, dans les films, au
théâtre. Il y a une banalisation de la nudité et c'est pourquoi parler d'arme
en évoquant la nudité n'est plus si évident.
Un nu pas si banal
Pourtant, ce que nous montrent les Femen, c'est l'inverse de
cette banalisation de la nudité : on voit bien comment, en se montrant
seins nus, en France ou ailleurs, elles attirent l'attention et dérangent ou
choquent.
C'est la preuve qu'il n'existe non pas une, mais plusieurs
nudités, et cela, le sociologue Christophe Colera l'avait déjà montré dans un
ouvrage paru il y a quelques années : il y a la nudité commerciale, la
nudité pornographique, mais qui dépasse largement le film X : c'est-à-dire
celle qui morcelle et maquille le corps ; la nudité comme humiliation,
celle des prisonniers de guerre par exemple, la nudité comme un don, dans
l'érotisme et la sexualité, et la nudité qui nous intéresse ici, la nudité
d'affirmation, de revendication.
La "nudité d'affirmation" ne perde pas de sa
force
Le nu surexposé n'est pas du vrai nu. Il est maquillé,
photoshopé, embelli par des effets volontaires d'ombre et de lumière... Finalement,
cette nudité rend d'autant plus transgressive la nudité sans artifice,
naturelle, celle qui n'appartient qu'à nous. On retrouve assez logiquement le
discours sous-jacent des Femen qui est : "Mon corps m'appartient,
j'ai le droit d'en disposer comme je le souhaite ".
Si elles choquent, si elles arrivent à faire de leur corps
une "arme" c'est parce que c'est leur corps intime qui est montré,
qui est livré aux yeux de tous et qui se "donne" à une cause. La
dimension sexuelle de cette action est indéniable. C'est cela qui crée le
trouble : le fait que soient joyeusement entremêlés, à travers leurs
actions, la défense de valeurs fondamentales (liberté, égalité, laïcité, etc)
et cette sexualité évidente.
Un message brouillé
Le risque d'opter pour cette "méthode", c'est
que la forme brouille le message de fond. D'autant plus que ce message de fond
n'est pas toujours très clair : pas simple, par exemple, de faire le lien
entre leurs actions éminemment courageuses en Tunisie, et celles qu'elles ont
mené il y a deux ans à Kiev pour demander la fermeture d'un zoo.
L'engouement médiatique pour les Femen est lui aussi
ambigu : est-ce que ces dizaines de photographes et caméras se précipitent
à chacune de leurs manifestations pour diffuser leur propos ou pour avoir des
images sexy qui font vendre ? Autrement dit : qui utilise qui ?
Cela devient difficile à dire. Mais pour être optimiste, tout de même, il faut
reconnaître que ce mouvement, a su, à sa façon spectaculaire, rajeunir un
féminisme dont on avait fini par croire qu'il n'avait plus grand chose à dire
ni à "montrer", explique Anne-Laure Gannac, de Psychologies Magazine.
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