Câbles sous-marins : la France sanctuarise cette expertise stratégique

Avec l'acquisition de la société Alcatel Submarine Networks, l'Etat sécurise le savoir-faire français, en matière d'installation et de réparation des équipements qui assurent, du fond des mers, l'accès à Internet.
Article rédigé par Nicolas Arpagian
Radio France
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Alcatel Submarine Networks à Calais, est considérée comme la plus grande entreprise de câbles sous-marins dans le monde. (Illustration) (DENIS CHARLET / AFP)

Le ministre de l’Economie, Antoine Armand, a annoncé le 4 novembre l’acquisition par l’Etat français de la société Alcatel Submarine Networks (ASN).

Cette entreprise, qui appartenait jusqu’alors au finlandais Nokia, emploie 2000 personnes, dont plus de 1300 en France. Son métier ? La pose, la conception et l’entretien des câbles sous-marins. Une activité critique quand on sait qu’aujourd’hui la quasi-totalité du trafic Internet mondial transite par environ 500 câbles.

C’est l’Agence des participations de l’Etat (APE) qui en prend le contrôle pour quelque 100 millions d’euros pour 80% du capital, avec une option d’achat pour le reliquat. Il s’agit donc de disposer de la capacité d’intervenir sur ces actifs critiques pour nos sociétés, dépendantes de la disponibilité des systèmes de communication.

Une activité née au XIXe siècle 

C’est en 1860 que ASN, à l'époque sous le nom de "Submarine Telegraph Company", a déposé au fond de l’eau le premier câble télégraphique. C'était entre la France et l’île de Jersey.

L’autre fleuron français en la matière, Orange Marine est né au milieu du XIXe siècle, en tant que branche câbles sous-marins du ministère des Postes et Télécommunications. Avant de devenir en 1999, une filiale du groupe Orange.

Précisons que les câbles en eux-mêmes demeurent la propriété des entreprises qui les financent. C’est le cas des grands opérateurs télécoms internationaux et des géants du numérique comme Alphabet, Meta, Amazon, qui y voient un moyen de s’assurer de la connectivité à leurs services.

Des flottes de navires câbliers

Ces firmes disposent de navires câbliers. Il y en a une quarantaine en circulation dans le monde. Dans le cas d’Orange Marine, ils sont au nombre de six, auxquels s’ajoute un bâtiment dédié à la prospection, pour ouvrir de nouveaux parcours.

À la demande du client qui souhaite disposer de son propre câble entre deux territoires, les ingénieurs établissent une route théorique, et envoient ensuite un navire qui réalisera une cartographie des fonds, à l’aide de sondes et de sonars. Il s’agit d’identifier les éléments du relief sous-marin, et de prendre en compte notamment les risques sismiques.

Prévenir les risques naturels

Il faut compter avec une variété d’évènements naturels ou très humains. Qui vont du glissement de terrain, à l’ensouillage – lorsque le câble finit par s’enfouir dans le sol sablonneux – aux bateaux de pêche, en passant par les tentatives de sabotage ou d’espionnage.

D’ailleurs, la première connexion transatlantique téléphonique a été posée en août 1858, entre l’ouest de l’Irlande et Terre Neuve au Canada. Mais elle a été coupée le 5 septembre suivant, suite à une corrosion du câble en question. Il ne fut rétabli qu’en 1866.

Une surveillance numérique, satellitaire et navale

Ces câbles représentent une longueur de près de 1,5 million de kilomètres dans des environnements très variés, qui vont de quelques dizaines à quelques milliers de mètres de profondeur.

La surveillance de ce maillage sous-marin débute par le suivi des bâtiments en circulation. Car on a vu, par exemple au large du Cotentin, des prétendus navires océanographiques ou de pêche stationner au-dessus de certains câbles sous-marins de communication, comme AEConnect-1 et Celtic Norse, qui relient respectivement l’Irlande aux États-Unis et à l’Écosse.

Certains équipages désactivent leur Système d’identification automatique, qui sert en principe à la supervision du trafic maritime, ou utilisent opportunément des mini-sous-marins pour accéder à proximité des câbles.

Il y a donc ce suivi par satellites, les actions des services de renseignement et les alertes reçues par les câbliers eux-mêmes, car leurs installations sont dotées de capteurs pour signaler toute anomalie. En précisant les coordonnées GPS afin de faciliter l’intervention.

Une force de réaction rapide

L'architecture du réseau de câbles repose sur un principe de redondance. L’idée étant d’éviter qu’une zone ne soit alimentée que par un seul branchement. On se rappelle qu’en 2011, une femme de 75 ans, armée d’une pelle et d’une scie, avait coupé l’accès à Internet de l’ensemble de l’Arménie et d’une partie de la Géorgie. Elle avait scié l’unique fibre qui assurait la connexion de ces régions.

En assurant la redondance des équipements, la défaillance d’un seul câble devrait avoir un effet limité. L’idée étant d’avoir ensuite une intervention dans les meilleurs délais, avec des équipes d’urgence qui peuvent se rendre sur place. Avec une remise en l’état en moins de 48h en général.

Il faudrait opérer simultanément sur différents réseaux pour que la déconnexion d’un pays soit effective. Rien de tel donc que de disposer de navires câbliers, pour bénéficier de leur savoir-faire en cas d’interruption intempestive. Au-delà de la dimension stratégique, le déploiement de ces branchements sous-marins représente un marché en croissance pour la prochaine décennie. 

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