Cet article date de plus de deux ans.

Ukraine : dans le Donbass avec l’armée russe

"Profession Reporter" ou dans les coulisses d’un reportage marquant de la semaine. Éric Valmir est avec Sylvain Tronchet, le correspondant de Radio France à Moscou, qui a suivi l’armée russe pendant plusieurs jours dans le Donbass.

Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
1er septembre 2022. Marioupol, quartier de gravats.
 (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

Sylvain Tronchet, correspondant de Radio France à Moscou, a pu accompagner l’armée russe dans le Donbass. Point d’orgue de ce reportage, la visite très encadrée de la centrale nucléaire de Zaporijjia. 

Dans une guerre, même quand l’agresseur et l’agressé sont clairement identifiés, le reporter se doit de couvrir les deux lignes qui s’opposent sur un front. Or, depuis le début du conflit, les journalistes peinent à travailler avec les Russes dans le sud de l’Ukraine et particulièrement dans le Donbass. Deux options se présentent à eux : obtenir une autorisation des séparatistes pro-russes, des dérogations très rares, ou alors attendre la tenue d’un voyage de presse organisée par le Kremlin, tout aussi rare.

Et pourtant, c’est bien cette deuxième option qui s’est présentée. Derrière l’alibi de la transparence se cache évidemment l’idée de montrer les dégâts causés par l’armée ukrainienne et tous les efforts entrepris par les Russes, de leur bienveillance envers la population et les chantiers de la reconstruction qui visent la russification des zones désertées.  

Des immeubles flambants neufs à Marioupol

1er septembre 2022. Marioupol, le chantier express de la reconstruction russe. (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

Sylvain Tronchet, le correspondant de Radio France à Moscou, a été frappé par ces immeubles flambant neufs sortis de terre à Marioupol en deux mois, un millier d’appartements. La technique est éprouvée. Déjà en 2014, lors de l’annexion de la Crimée, la Russie avait débloqué des fonds massifs pour rénover les infrastructures et injecter des liquidités pour relancer l’économie.  

Mais le Donbass n’est pas la Crimée. D’abord parce qu’en Crimée, l’annexion s’est faite sans bombardements et sans coups de canons et que la surface du territoire n’est pas la même. Reconstruire sur de vastes étendues dévastées demandera beaucoup de temps, et surtout ce sera un gouffre financier. En attendant, images spectaculaires de ces immeubles neufs, appartements témoins encore déserts, qui jouxtent les habitations éventrées, des cratères dans les rues, et des voitures calcinées.  

"Embedded", le terme revient à chaque guerre

Pour nous, reporters français, il est souvent associé à des reportages aux côtés de l’armée américaine, ces dernières années, en Afghanistan ou en Irak. Développés aussi avec les Kurdes en Syrie, et avec quelques combattants ukrainiens sur le front. De ce point de vue, le principe "Embedded" est le même, qu’il soit mené par l’armée américaine ou l’armée russe : le reporter ne voit que ce qu’on lui montre et il ne voit pas le reste. C’est une partie de l’histoire, peut-être même arrangée pour la propagande, mais ce n’est pas l’histoire, le fait, dans sa globalité et sa complexité.

Le reporter doit donc prendre avec beaucoup de distance et de réflexion ce qui lui est dit, ce qui lui est asséné. Par exemple, le fait que les interlocuteurs des journalistes partis dans le Donbass, soient choisis par les soldats Russes sur-armés qui les encadrent ne favorisent pas une liberté de parole. Les reporters ont fait connaître leurs frustrations auprès de l’Etat-major russe qui a donc permis une circulation un peu plus ouverte dans un territoire occupé par les Russes. Celles et ceux qui pourraient contester cette occupation, celles et ceux qui sont restés ne se précipitent pas au micro pour parler. Ils le font, mais avec modération, autant dans la longueur des phrases que dans le contenu des propos.

C’est dans le regard et le langage des corps, dans les silences même, que l’indicible peut être perçu. Mais il n’appartient pas au journaliste d’interpréter un silence ou un non-dit. Après plusieurs jours dans le Donbass avec les Russes, ce qui marque Sylvain Tronchet, ce sont les villes désertées. Les villes en ruine, la reconstruction, la russification qui passe par les passeports et les plaques minéralogiques des voitures. Ceux qui sont restés obtempèrent, mais la grande question est de savoir si la population partie reviendra, et acceptera les nouvelles règles, si toutefois ces règles perdurent et ne sont pas contestées par un autre fait de guerre.

1er septembre 2022. La centrale de Zaporijjia, usine fantôme.     (SYLVAIN TRONCHET / RADIO FRANCE / FRANCEINFO)

La centrale nucléaire de Zaporijjia 

L’autre élément marquant, c’est évidemment la visite de la centrale nucléaire de Zaporijjia. Une usine fantôme, alors le niveau de sûreté exige un personnel nombreux. A part quelques voitures sur le parking, des soldats russes qui montent la garde, il n’y a quasiment personne.

Les Russes ont montré aux reporters les dégâts causés par un bombardement ukrainien, disent-ils, dégâts qui, aux dires des experts de l’Agence Internationale de l’énergie atomique, seraient mineurs, donc possiblement dramatisés par les Russes, mais ce qui n’empêche pas évidemment l’Agence de réclamer, dans son rapport rendu cette semaine, une zone de sécurité autour de la centrale. Car, comme le souligne Sylvain Tronchet, l’effroyable reste qu’une des plus grandes centrales nucléaires d’Europe se trouve sur un théâtre de guerre.            

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.