Profession : reporter. Comment raconter un monde que l'on ne voit pas ?
Laetitia Bernard est une journaliste aveugle qui officie à la direction des sports de Radio France. On l’entend présenter les journaux sur franceinfo et France Inter. Son handicap ne s’entend pas et ne se voit pas. Laetitia est aussi championne de France en saut d’obstacles handisport.
Laetitia Bernard avance dans les couloirs de la maison de la radio avec son bloc-notes braille, cet appareil qui fascine toute la rédaction, elle la première. Et sa profession de reporter, elle l'exerce avec énergie.
Enfant, Laetitia devait écouter les étoiles, son père changeait la sémantique des contes, trop axée sur le regard plongé dans le ciel scintillant. Une étoile, ça s'écoute. Mais en grandissant et en prenant conscience de sa différence, Laetitia ne veut pas ignorer les codes visuels dans une société de l’image et des apparences qui va devenir une société du tout écran.
Dans Ma vie est un sport d’équipe, coédition Stock-Radio France, Laetitia Bernard revient sur son parcours, l’école avec les valides et les déficients visuels, son goût pour le sport, et très vite les disciplines équestres, l’adolescence où la gestion du jeu de la séduction sans les yeux relève d’une dimension qu’il faut inventer, ses études.
Et puis la carrière qu’elle veut embrasser dans la fonction publique européenne avec comme objectif un rôle dans les questions de handicap.
Une jeune aveugle au milieu des valides
Dès son plus jeune âge, les médias, elle les connaît pour en être un instrument. La jeune aveugle dans les arts. La jeune aveugle à cheval, et à chaque fois, les questions des journalistes qui recherchent la compassion, le misérabilisme.
S’étendre sur les blagues douteuses de l'adolescence que l’on peut facilement faire à un non voyant. Laetitia hausse les épaule, refuse le statut de victime. Ce sont les mêmes blagues foireuses que l’on fait à quelqu’un qui tourne le dos. Il n’y a jamais de misérabilisme dans sa façon d’aborder la vie. Oui, être un aveugle est un handicap. Pourquoi faudrait-il en ajouter ? Et d’ailleurs, ses exploits équestres vont vite changer la nature des articles qui lui sont consacrés.
C’est une évidence. Dans la vie d’un aveugle, l’audio prend une place prépondérante. Pour Laetitia, ce sera par la littérature, la fièvre des grands textes, la culture et le cinéma. Le mot radio est écrit pour la première fois à la page 97 de son récit.
Premier stage de journaliste à l'agence Gamma
Et son premier stage de journaliste,elle le vit dans une agence photographique de presse. Oui, de photo. Gamma prend une étudiante aveugle en stage d’observation, autant parler d’un choix audacieux. Et dans sa fonction de rédactrice qui doit réagir à l’actualité, ce que l’anglais appelle le "breaking news", c’est dans cette difficulté que Laetitia va vite s’imposer comme un sportif au-delà de l’effort. Elle parvient à s’intégrer dans ce qu’elle appelle encore aujourd’hui la Gamma Family.
Aux micros de franceinfo et France Inter, le handicap de Laetitia ne s’entend pas puisqu’il ne se voit pas. Sa voix, riche d’intonation plurielle, doit pourtant évoluer sur un terrain accidenté. On ne le sait pas, mais lire le braille à voix haute, en suivant son texte en temps réel, est un exercice compliqué. Une question de rythme et de combinaison entre le geste et la parole.
Donner à voir l'indicible de la nature humaine
Et puis Laetitia n’est pas qu’une présentatrice. Il serait trop simple de l’imaginer recluse dans un studio, dans le confort douillet d’une salle de rédaction où elle aurait ses repères. Raconter le monde, c’est aussi le ressentir à travers les vibrations et ce qu’il donne à percevoir. Sortir pour se confronter à lui, ses bruits ambiants et ses déclinaisons.
Car, par le son, la radio explore les champs de l’imaginaire, l’émotion mais aussi le réel et les réflexions qui l'accompagnent. Quand elle part en reporter commenter une compétition ou relever un défi, une pratique sportive en immersion, courir à vélo les étapes du tour de France cycliste, répéter ses exploits de cavalière en sauts d’obstacles ou encore pratiquer le judo, Laetitia donne à voir l’indicible de la nature humaine.
Standing ovation Maestra !
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