Profession : reporter. Quelle liberté d'informer sur les terres agricoles bretonnes ?
Suite à un acte de sabotage commis sur sa voiture, Morgan Large qui officie sur la radio bilingue bretonne RKB sur des sujets liés à l'agro-industrie a porté plainte contre X, une plainte instruite par Reporters sans frontières . Cet acte grave n'était pas la première intimidation. Et surtout Morgan n'est pas la seule journaliste bretonne à subir ces pressions, et voir son travail continuellement dénigré ou empêché.
Deux boulons en moins sur la roue de sa voiture. Elle a roulé sur la 4 voies à plus de 100km/h. Le garagiste est formel. Ce sabotage volontaire aurait pu tué Morgan Large, mais aussi sa fille, avec elle dans la voiture. Soutenue par Reporters sans frontières, la journaliste de RKB, Radio Kreiz Breizh, a donc porté plainte contre X pour "destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui par l’effet de tout moyen de nature à créer un danger pour les personnes" et "entrave concertée à la liberté d’expression".
Depuis 20 ans, Morgan Large anime une émission de radio sur RKB, radio associative bilingue, à Saint Nicodème dans les Côtes d'Armor. Elle questionne le monde agricole et son rapport à l'environnement. Lassée d'entendre des réflexions sur sa légitimité à travailler sur ces sujets, Morgan Large va même suivre une formation de responsable d'exploitation agricole avec spécialité en viande bovine, pendant plus d'un an.
En 2016, un choc : un jogger meurt dans les algues vertes
Morgan Large découvre les enquêtes d'Inès Léraud sur les pesticides, un travail de terrain qui n'est pas sans risques. En réalisant des reportages sur l'agroalimentaire breton, les déchets des abattoirs et la pollution des nappes phréatiques, Morgan Large voit les tentatives d'intimidation se multiplier. Deux tentatives d'intrusion à la radio, coups de fils nocturnes et insultes, tentative d'empoisonnement de son chien.
Morgan Large, Inès Léraud et les autres – une journaliste allemande a été agressée par un agriculteur – ne peuvent informer comme elles l'entendent. Parce qu'elles osent poser des questions, parce qu'elles portent le contradictoire et le débat sur des sujets essentiels du quotidien en ruralité, elles se voient dénigrées, et définies comme des militantes écologistes, animalistes, opposées à l'agriculture industrielle. C'est évidemment réduire à une dimension partisane un travail de fond pour informer le public.
Des journalistes et non des militantes
Journalistes chevillées à une déontologie et non des militantes, chaque question posée est assimilée à une violence portée. La loi du silence prévaut. Il est difficile de recueillir des témoignages, même chez les victimes, il suffit d'écouter la chronique du jour pour entendre Inès Léraud subir une colère teintée de peur d'un agriculteur qui ne retient pas ses mots et ses menaces.
Sur un autre versant, la profession a distingué déjà à six reprises Inès Léraud pour ses investigations sur les dérives de l'agroalimentaire breton.
Un monde opaque, où quelques flous apparaissent, à défaut de transparence, grâce au courage de reporters solides. Des reporters qui se demandent pourquoi les pouvoirs publics n'interviennent pas auprès des exploitations et des industries qui violent les lois explicites sur l'environnenent, pourquoi les pouvoirs publics laissent des journalistes locaux, au fait des questions traitées, seuls face aux géants de l'agroalimentaire, pourquoi l'absence de signaux en direction des journalistes qui se voient menacées dans leurs vies familiales.
On est en France, on est en Bretagne, et Reporters sans frontières n'en revient pas d'instruire des dossiers qui relèveraient plus d'un État de non-droit.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.