L'Ukraine sous les bombes : avec nos reporters sur le terrain
La guerre en Ukraine est donc totale depuis cette semaine. Ce qui était une hypothèse est devenue réalité. Ce qui était même une hypothèse lointaine, la guerre à Kiev, est aussitôt devenue une réalité qui s’est imposée du jour au lendemain. Les journalistes présents sur le terrain ont vécu ce point de bascule en direct.
Numéro spécial de "Profession reporter" sur le déclenchement de la guerre en Ukraine, avec les journalistes reporters de Radio France sur le terrain : Valentin Dunate, Thibault Lefevre et Omar Ouahmane.
Quelques jours avant l'invasion en Ukraine
À Kiev et Lviv, c’est tout juste si l’atmosphère n’était pas plus joyeuse qu’à Paris, ankylosée par la crise sanitaire, et le faux rythme de la campagne présidentielle. Promenades familiales, restaurants, chants, rire, danse. Oh bien sûr, il y avait les autorités ukrainiennes qui s’affairaient à préparer des abris anti-aériens, mais c’était au cas où ; des gesticulations pour journalistes venus couvrir une guerre qui n’aurait pas lieu. Il fallait arrêter avec le tintamarre américain qui joue à se faire peur. C’était du bruit pour rien, ou presque, du bruit pour servir des négociations géopolitiques. C’est dire que si la menace était réelle, personne n’y croyait vraiment.
Dans le Donbass, empêtré dans sa guerre de basse intensité avec des lignes de démarcation figées depuis huit ans, entre l’armée ukrainienne et les séparatistes russes, c’est une autre histoire. Les obus volaient la nuit. Et le jour levé, les deux parties s’accusaient mutuellement d’avoir ouvert le feu.
Thibault Lefevre et Jérémy Tuil, qui ont passé une dizaine de jours sur place, racontent des conditions de travail éprouvantes dans un quotidien lunaire. Pas seulement les paysages. Entendre les missiles siffler, et s’apercevoir que les habitants n’y prennent même plus attention. C’est sans doute pour ça que les gueules sont fracassées, et que sourire n’est pas si évident.
Thibault et Jérémy vivent dans leur voiture, un 4x4. Une bonne voiture est un gage de sécurité. Une voiture à soi qui permet de partir au plus vite en cas de grabuge. C’est le bureau, le studio où se montent et s’envoient les reportages, c’est le lit pour dormir la nuit. Alors qu’ils font une interview dans cette région appauvrie par le conflit larvé, cette guerre oubliée que la mobilisation russe à la frontière a remis à la une de l’actualité, nos deux journalistes sont pris pour cible par des tirs d’obus. Le premier les survole et tombe plus loin. Ils s’enfuient.
Alors qu’ils démarrent la voiture, un deuxième frappe le champ, 200 mètres à leur droite, puis après avoir démarré, un troisième 50 mètres derrière eux. Le couple qu’ils interrogeaient criaient : "Fuyez, fuyez". Mais la frayeur passée, et après avoir analysé la situation, les obus ne semblaient pas chargés et semblaient tirés par l’armée ukrainienne, comme pour inciter les civils à quitter la zone. Aucune certitude pour autant. Nos reporters se sont repliés.
La nuit qui suivit fut celle de la déclaration de guerre
Les bombes, les tirs de chars, les flammes, les carcasses calcinées, les ruines, le sang, les corps, les larmes, la peur, la vie qui s’enfuit. L’Est court vers l’Ouest. Ces gens, avec qui Thibault, Jérémy, Valentin, Arthur partageaient un moment autour d’un café ou d’un repas, ces gens qu’ils voyaient vivre, pour la plupart, à l’européenne, ces gens qui travaillaient, ces bassins d’étudiants, tout ça s’arrête dès les premières sirènes et le bruit des bombes pas loin de Kiev, le bruit de l’armement partout.
Dans la panique, tout laisser, faire une valise, ne pas effrayer les enfants. Ainsi témoigne cette ukrainienne au micro de Valentin Dunate, cette mère de famille doit trouver une narration adaptée, tout en calmant ses angoisses, et en laissant son chez soi derrière elle, pour se propulser sur les routes, avec deux valises. Comme les proches, les amis, les voisins.
La route vers l’Ouest est embouteillée
Et sur les réseaux, les images de flammes, de fer rougis, de mots violents.Toute cette violence tombée sur la vie des Ukrainiens. L’heure n’est même à comprendre ce qui relève de l’irrationnel, le premier réflexe est de survivre, ne pas réfléchir.
C’est la guerre, et elle n’est pas loin de chez nous. Omar Ouahmane et Gilles Gallinaro l’ont touchée de près. Partis lundi 21 février de Paris en voiture, ils ont mis 27 heures à rallier l’Ukraine ; 27 heures seulement par la route, autant dire que c’est là, à nos portes, et pour cette raison, tout en calculant les risques, les reporters continuent leur mission d’informer, en direct, pas très loin de l’endroit où tombent les bombes.
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