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Numérique à l'école : un accélérateur de tendances

Un nouveau sigle s’impose dans les établissement scolaires : ENT, pour Environnement numérique de travail. A quoi servent-ils vraiment ? Changent-ils la façon de travailler ? les relations entre parents et écoles ? Une recherche menée en Seine-Saint-Denis permet d’y voir plus clair…
Article rédigé par Emmanuel Davidenkoff
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
  (© Maxppp)

Cette étude, signalée par le Café Pédagogique, est signée Sylvain Genevois (Université de Cergy Pontoise) et Dany Hamon (Paris V). Petit rappel sur le principe d’un Environnement numérique de travail : c’est une solution intégrée qui permet de gérer à la fois les notes ou les absences, de stocker et de partager des fichiers, de tenir un cahier de textes numérique ; il offre en outre des messageries électronique, des espaces pour créer des blogs et peut aussi accueillir d’autres ressources documentaires. Il doit donc à la fois permettre de travailler mieux en simplifiant les échanges, mais aussi, au niveau pédagogique, en modifiant la façon d’enseigner.

Mais à l’arrivée, l’usage est assez limité…

Le suivi des notes arrive largement en tête, aussi bien côté élèves que côté parents, avec le suivi des absences et la consultation du cahier de textes. Les parents adorent également pouvoir suivre les devoirs. En queue de peloton arrivent les usages pédagogiques : partage de fichiers ou, plus rare encore, utilisation pour du travail collaboratif.

Ça ne signifie pas pour autant que les enseignants n’utilisent pas le numérique pour travailler…

Absolument. Mais la majorité le fait sur son ordinateur personnel, et en privilégiant des ressources qu’il choisit lui-même. C’est même un usage massif .

Au fond tout le monde continue à faire la même chose : les usages n’évoluent pas.

Pas beaucoup. L’aspect « contrôle » de l’école se renforce avec la possibilité d’accéder aux notes ou aux absences – certains enseignants le regrettent d’ailleurs, ceux qui parfois retenaient des notes ou les pondéraient en fonction de l’attitude de l’élève par exemple. Ce qui semble bouger le plus, du côté enseignants, c’est le partage de documents pédagogiques : près de la moitié disent le faire. 

Problème de formation, comme on le dit souvent pour expliquer les lenteurs d’adoption du numérique ?

Oui, on retrouve ce problème. Bien qu’un effort particulier ait été consenti dans les établissements lors de l’installation des ENT, près de 40% des enseignants interrogés affirment n’avoir pas été formés et disent le regretter. Et quand la formation a eu lieu, elle n’a pas toujours convaincu. Un enseignant se souvient : « La réunion par un formateur s'est poursuivie par une séance de travaux pratique pendant laquelle rien n'a fonctionné comme attendu, sans autre explication que le constat que ça ne fonctionnait pas ». Les élèves ont eux aussi leurs récriminations sur l’ergonomie des applications. Pour autant, sur le fond, ils sont plutôt satisfaits des services qu’offre leur ENT.

Pourquoi l’utilisation d’outils numériques choisis par les enseignants domine-t-il l’utilisation de ces ENT ?

Parce que les concepteurs de ces ENT sont en concurrence directe et frontale avec des services comparables conçus par le privé qui souvent leur semblent plus ergonomiques et plus performants. Parmi les témoignages recueillis par les chercheurs, certains sont très sévères : « C'est insupportable d'avoir des outils professionnels : ENT (messagerie, dépôt de fichier) qui fonctionnent beaucoup moins bien que les outils qui  existent dans la vie privée : Gmail, Google doc....» s’irrite un enseignant. « Un outil très utile mais un peu trop lourd à l'emploi surtout quand on y ajoute les différents problèmes de réseau qui se cumulent avec ceux des PC » regrette un troisième.

Quand il parle des problèmes de réseaux, il parle du réseau de l’établissement.

Oui. C’est LE point noir : la maintenance est jugée défectueuse. « Rien ne fonctionne, il manque une personne pour gérer le réseau à temps plein. » s’irrite un enseignant. Les auteurs de l’enquête confirment : les problèmes techniques ne sont pas toujours liés à  l’ENT lui-même, mais à des problèmes externes : connexion Internet à faible débit, retard dans le câblage des établissements, problème d’accès aux ordinateurs en salle de classe ».

Au moins les enseignants retrouvent-ils de bonnes conditions chez eux. Est-ce le cas de tous les élèves ? on parle parfois de « fracture numérique »…

Et c’est une question spécialement sensible en Seine Saint-Denis. En fait, les enseignants espèrent du numérique qu’il les aide à trouver des solutions différentes pour mieux aider les élèves – notamment qu’il améliore le suivi personnalisé de l’élève. Je cite les chercheurs : « L’ENT est perçu d’abord comme un moyen, une aide pour faire face à l’hétérogénéité des publics scolaires » et de les familiariser avec des outils « qui deviendront leurs outils professionnels» et leur permettront de mieux participer à « la construction d’une société de la connaissance».

Donc de grandes espérances, pour l’instant déçues…

Oui, même si les auteurs insistent sur le fait que leur enquête ne décrit qu’une partie de la réalité, celle de la Seine Saint-Denis, département où en dépit de la tonalité de ce qui précède les efforts sont réels. En fait, les choses se passent comme si le numérique venait accentuer des tendances préexistantes : pour caricaturer, les enseignants qui privilégient le face à face avec les parents utiliseront l’ENT pour tisser un lien plus dense et pour inviter plus facilement les parents à venir les voir, tandis que ceux qui n’aiment pas l’utiliseront pour les tenir à distance et, le cas échéant, enverront un message via la messagerie plutôt que de proposer un rendez-vous aux parents. Idem de ceux qui essaient déjà d’avoir une approche très personnalisée – peut-être les plus déçus aujourd’hui - : ils tenteront d’utiliser le numérique pour faire de la pédagogie différenciée. « Ainsi, concluent les auteurs de l’enquête, l’ENT semble faire rejouer une partie des tensions qui traversent aujourd’hui l’Ecole, en particulier sur les questions de coéducation ».

 

 

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