Technologies : les rendez-vous manqués de l'école
C'est
ce que rappelle Matt Novak sur son blog Paleofuture, dans un article aussi
instructif qu'amusant intitulé " 15
technologies qui étaient censées changer l'éducation pour toujours ".
Et ça commence avec le cinéma...
Oui.
Dès l'invention du 7e art. La Cedar Graphics Gazette prédit ainsi en
mars 1920 que d'ici la fin du siècle on n'apprendra plus l'histoire dans des
livres mais à travers des films. Ce sera la fin d'une histoire faite de
" fantômes de papier " et la naissance d'une histoire qui incarne des
créatures comme vivantes, qui sourient, parlent, marchent, aiment, travaillent,
se nourrissent... On le sait, le cinéma est resté à la porte des écoles.
La radio naît à la même époque
Oui,
et suscite les mêmes espoirs. Nous sommes en 1924 et le magazine Science et
Invention promet que la petite Mary aimera autant écouter ses leçons à la radio
qu'elle aime se faire lire une histoire du soir. " Les devoirs à la maison
deviendront un moment de joie, écrit le magazine, et les leçons seront apprises
avec une grande facilité ". Là encore, on y est pas.
1935 : une revue imagine
les Moocs !
Oui,
ces Moocs dont on parle tant aujourd'hui, les cours massifs en ligne gratuits
délivrés en vidéo par le web. Le site publie un dessin extraordinaire car il
décrit assez exactement le dispositif, 80 ans à l'avance. L'enseignant est
filmé devant son tableau, les étudiants sont installés devant des récepteurs
TV, chacun chez soi. Les auteurs de l'article cité par Paleofuture glosent sur
l'avantage évident de la télé sur la radio : elle permettra d'enseigner
tout ce qui requiert l'image, notamment la géométrie. On retrouve la télé en
1938, dix avant qu'elle commence à envahir les foyers américains, dans cette
expérience menée dans les locaux de NBC où un professeur a donné son cours
par écran interposé. Le consultant " éducation " de NBC prédit alors,
je cite, que " d'ici cinq ans, la télévision sera fréquemment utilisée
dans toutes les salles de classe ". Encore raté.
A la même époque, invention du
disque vinyle
Et
même enthousiasme. On gagne là encore sur la radio puisque le cours pourra être
écouté à toute heure, sans dépendre des programmes.
Années 50-60 : c'est la
folie des robots.
Et le Oakland
Tribune tente de convaincre les parents américains, en août 1960, que ce sont
de simples outils dont il ne faut pas avoir peur et qui pourront enseigner. Le
débat était tellement vif à l'époque que la National Education Association a dû
publier un communiqué pour démentir toute intention de généraliser
l'enseignement par des robots. On retrouve le même émerveillement dans les
années 80 avec le robot Newton, dont le constructeur annonce qu'il rendra les
apprentissages ludiques et amusants.
1971 : l'intuition des moteurs de recherche naît.
Montrée dans une
encyclopédie pour enfants de l'époque. Là encore on est devant un écran.
L'enfant tape une question et il accède à des contenus écrits, audio et vidéo.
C'est la " machine à répondre ", elle aussi censée révolutionner
l'enseignement. Dix ans plus tard on couple cette idée avec la vidéo et on
pressent ce qui va devenir le live chat.
Revenons en 2014 : aucune de ces technologies n'a
finalement révolutionné l'école.
Non. Pour des
questions de coût d'équipement, de maniabilité, de valeur ajoutée insuffisante.
Mais il y a aussi - et il ne faut pas le
mésestimer le poids - des modèles pédagogiques traditionnels. Il sont
profondément ancrés dans notre histoire. Il faut se souvenir que c'est l'ordre
des jésuites, à peine fondé, au XVIe siècle, qui invente des principes que l'on
a conservés depuis : regrouper les élèves par niveau de connaissance, dans
des classes, ritualiser les apprentissages en découpant la journée en
différents activités ; les Jésuites importent également de Chine le
système des notes, qui servait là-bas au concours du mandarinat – vous
retrouvez tout cela dès 1599 dans un ouvrage intitulé le Ratio Studiorum, les
Normes pédagogiques. On peut ajouter à cela le statut de la parole enseignante
qui fut d'abord celle du prêtre, donc une émanation d'une parole d'essence
divine, qu'il était par définition hors de question de contester, et bien sûr
le poids du livre et de la culture encyclopédique. Les choses ont assez peu
bougé de ce point de vue, notamment parce que la République a beaucoup emprunté
à la religion pour s'imposer. Tout cela laisse des traces. Mais ce qui est intéressant
à travers l'exemple de ces technologies prometteuses qui n'ont pas révolutionné
l''école comme on le disait, c'est de voir que l'on court depuis un siècle
après les mêmes ambitions : massifier la diffusion du savoir, le rendre
plus attractif, et individualiser l'enseignement.
Les tablettes et les cours massifs en ligne
réussiront-ils là où la radio et la télévision ont échoué ?
C'est plausible,
pour trois raisons majeures. D'abord il y a la nature même de ces
technologies : elles passent par des supports mobiles, dont les tarifs
sont accessibles, elles sont attractives, et elles permettent une
individualisation de plus en plus fine. Ensuite elles entrent naturellement
dans les espaces scolaires – aucune loi, aucune réforme, n'a été nécessaire
pour que les étudiants apportent leurs ordinateurs en cours, pour que les
tableaux interactifs envahissent les classes des écoles primaires. Enfin elles
sont totalement ancrées dans le monde du travail – aller au cinéma, regarder la
télévision ou écouter la radio faisait partie du temps privé, du temps des
loisirs, se servir du numérique est devenu un prérequis dans la plupart des
métiers. Reste que je peux me tromper, auquel cas un Matt Novak des temps futur
pourra citer cette chronique à l'appui d'un nouvel article sur les " technologies qui
étaient censées changer l'éducation pour toujours ". Article dont je vous
recommande donc la lecture, il est en plus assorti d'illustrations édifiantes.
Le lien est sur franceinfo .fr, à la rubrique Question d'éducation.
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