À propos de l'analphabétisme et de l'illettrisme, le sociologue Jean Viard souligne que "l'apprentissage nécessite à la fois le métier des professeurs et la soif d'apprendre de l'enfant"

Ceux qui ne savent ni lire ni écrire, ou qui ne sont pas à l'aise avec l'écriture et la lecture, subissent toute leur vie une forme de handicap.
Article rédigé par franceinfo - Jean Viard - Benjamin Fontaine
Radio France
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La maîtrise de l'écriture et de la lecture est un enjeu à l'heure où le numérique est en train de devenir la base de l'apprentissage. (SYLVIE CAMBON / MAXPPP)

L'analphabétisme, le fait de ne savoir ni lire ni écrire, est une problématique qui touche 14% de la population dans le monde. L'illettrisme – ne pas maîtriser ces deux notions malgré un passage par l'école – touche 4% des Français de 18 à 64 ans. De quoi alimenter la réflexion du sociologue Jean Viard.

franceinfo : L'analphabétisme est-il un premier frein au bon fonctionnement d'une société, voire de la démocratie ?

Jean Viard : Absolument. Le XXᵉ siècle a été le siècle de la lecture, on a appris massivement à lire, sur la planète même si, en effet, à la fin du siècle, tout le monde ne savait pas lire ou écrire. Il reste à peu près 773 millions d'analphabètes complets dans le monde. Ce chiffre est en recul, mais reste sensible. Donc la bataille continue alors que nous sommes entrés dans le siècle du numérique, qui est un siècle de la lecture et de l'écriture puisque, par définition, on ne peut pas aller sur Internet si on ne sait ni lire ni écrire. En France, 4 % des gens restent sur le bord du chemin, un peu plus de filles que de garçons, 10% que ne se sentent pas à l'aise avec les lettres, et c'est un problème. Il reste encore du travail à accomplir.

Ne pas savoir lire, ne pas savoir écrire, c'est avoir un handicap ?

Bien sûr ! Pour trouver un travail, pour voter, pour participer à la démocratie, à la vie de la société tout simplement. Prenez une femme de ménage, par exemple, métier modeste. Elle doit pouvoir comprendre ce qui est écrit sur des produits parfois toxiques. Un paysan ne peut pas traiter ses vignes s'il ne sait pas les doses à utiliser en fonction des conseils qu'on lui donne. C'est vrai pour tout le monde.

L'école est-elle en cause ?

Les enfants qui, effectivement, rencontrent des difficultés à l'entrée en sixième pour se sentir complètement à l'aise en lecture et en écriture, en subiront des conséquences toute leur vie : ils vont décrocher de l'école, ils vont s'ennuyer, ils se perdront début du lycée et ils auront du mal dans le monde du travail. On les retrouvera 20 ans plus tard entre SMIC et chômage. Leur vie aura été toute tracée dès le départ. La question qu'il faut donc se poser est : comment forme-t-on les jeunes ? Sur Tik Tok ou en lisant Sénèque ? C'est un enjeu crucial, parce que le monde numérique est en train de devenir la base de l'apprentissage.

Est-ce qu'il n'y a pas eu des ratés au fil des années ? Est-ce qu'on n'a pas laissé filer certains élèves ?

Prenez par exemple les quartiers en difficulté. Les jeunes filles qui arrivent de l'étranger, en gros après deux générations elles ont le même niveau que les autres. Pourquoi ? Parce qu'elles ont une soif d'apprendre, parce qu'elles savent que c'est par l'école qu'elles vont trouver un travail et donc avoir une vie autonome. On voit là une volonté extraordinaire. Or dans les mêmes écoles et les mêmes classes, les garçons ont beaucoup moins de résultats. Cela signifie que l'apprentissage nécessite à la fois le métier des professeurs, de l'école, et le désir d'apprendre. L'enfant doit avoir le sentiment que s'il apprend, il va réussir sa vie et va s'en sortir.

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