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Crise climatique : "Les gens ont compris que le changement du climat était mortel, et que c'était ça l'enjeu principal", estime Jean Viard

A l’heure du printemps, la sécheresse est déjà là. Le sociologue Jean Viard constate que toutes les sociétés du monde sont entrées dans une véritable "guerre climatique".
Article rédigé par Augustin Arrivé
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Ottendorf-Okrilla/Saxe/ Allemagne. Un clou enfoncé par des militants écologistes est coincé dans une souche d'arbre sur une parcelle de forêt précédemment occupée à Heidebogen, pour rendre plus difficile l'abattage des arbres. Une superficie totale de 7,5 hectares a été défrichée par l'entreprise publique allemande Sachsenforst pour l'entreprise de gravier KBO. (Illustration) (SEBASTIAN KAHNERT / PICTURE  VIA GETTY IMAGES)

Le printemps arrive, ce lundi 20 mars, mais une dizaine de départements métropolitains sont déjà concernés par des restrictions d'eau. La Guadeloupe également. Et la sécheresse fait rage aussi en Martinique. Le sociologue Jean Viard, revient avec franceinfo un peu en arrière : rappelons-nous les canicules et les feux de forêt de l'été dernier.

franceinfo : L'été dernier, nous disions tous que c'était l'été de la prise de conscience de la menace climatique. Est-ce que c'est toujours l'impression que vous avez six mois plus tard ? 

Jean Viard : Je pense que la grande pandémie a marqué la rupture du monde et l'entrée dans la guerre climatique, et que toutes les sociétés vont là-dessus. On a encore signé il n'y a pas longtemps le premier accord pour la haute mer, depuis 25 ans de négociations. On pourrait multiplier les exemples : la voiture électrique, etc. Donc les sociétés ont complètement basculé et il ne faut pas avoir le nez que sur le court terme.

Les gens ont compris que le changement du climat était mortel, et que c'était ça l'enjeu principal. Quand on voit le taux par exemple des jeunes filles qui disent qu'elles n'auront pas d'enfants, de jeunes étudiantes. Donc je crois qu'on en a pris conscience et que la vraie question, notamment dans la société française, c'est comment le pouvoir se comporte en leader de cette bataille.

Et pour l'instant, on a le sentiment que ce n'est pas le cas, et je dirais que les mondes politiques qui ont pris le pouvoir après la pandémie, ils ont regardé la pandémie sans être au pouvoir, et donc ils sont beaucoup plus ouverts. En France, ce qui est compliqué, c'est que les mêmes gouvernent maintenant et ils ont géré la pandémie. Donc ils ont beaucoup de mal à sentir l'évolution de la société. 

Il y a aussi les actes de chacun d'entre nous qui peuvent entrer en confrontation avec les grands discours que nous avons pu tenir. Il y a l'inflation, la consommation bio est freinée par la hausse des prix. Il y a les stations de ski qui, pendant les vacances de février, ont enregistré des fréquentations records, alors que chacun semble avoir conscience de la baisse du niveau de neige dans les stations. Là, il y a quelque chose de paradoxal entre les paroles et les actes ?

Oui et non. Je vais dire après la pandémie, on a tous envie d'amour, de sorties, de restaurant, de vacances. Alors tout le monde ne peut pas se le payer. Je suis très conscient, mais ça ne veut pas dire que ceux qu'ils ne font pas, n'en ont pas envie. Et il y a ce désir de vie, parce qu'on a été enfermé chez nous, on a eu peur de mourir. On a une volonté de vivre comme après les guerres, on s'aime, on fait l'amour, il y a cette vitalité.

Regardez la question du bio. Le nouveau critère, c'est le local. Avant la pandémie, il y avait une grande question, très idéologique : on était massivement pour le bio, on en achetait. Maintenant, on préfère du local. Pourquoi ? Parce que pendant la pandémie, on s'est réorganisé dans la proximité. Et au fond, on est plus sensible au fait de connaître l'agriculteur qui a produit les carottes, que le fait qu'elles soient bio. On attache au lien interpersonnel une fonction peut-être un peu supérieure à la question. Donc au fond, c'est une période moins idéologique.

Après, c'est une période d'inflation, donc il est évident aussi qu'on fait tous attention aux prix. Et je pense que fondamentalement, c'est ça qui se joue, c'est ce nouveau rapport au local, et le problème, c'est de faire des politiques qui, petit à petit, ramènent cela, notamment vers le bio, vers la nouvelle agriculture. Je pense qu'en ce moment, on a d'abord envie de vivre, de prendre l'air, essayons de prendre cette force pour faire évoluer la société vers une société bas carbone. 

Vous parliez de la jeunesse et des craintes, notamment d'enfanter face à ce futur incertain. Il y a un nouveau militantisme qui, peut-être, se voit davantage médiatiquement, avec quelques événements chahutés, Roland-Garros, les César plus récemment. C'est utile ces piqûres de rappel ? 

Je suis sociologue, j'essaye de voir. Moi, je pense que ce n'est plus l'enjeu principal. Les sociétés, les mentalités ont compris la question de la guerre climatique. Est-ce que les grandes entreprises, est-ce que les Etats vont assez vite dans cette mutation ? On peut évidemment en discuter. Il peut y avoir des logiques de lutte et de rappel, c'est le rôle des luttes sociales.

On n'a jamais fait de société sans affrontement. Avant, c'était capital / travail, et maintenant ça va être l'urgence de la décarbonation ou ceux qui disent : on peut encore gagner un peu d'argent en attendant un petit peu. Et cela recrée du politique : est-ce qu'il faut prendre le vélo ou est-ce qu'il faut aller avec des voitures électriques, etc. Et c'est ce champ-là qui va reconstruire du politique. 

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