Face à l'inflation, Jean Viard constate qu'il y a "une France des centimes et une France qui va très bien"
A partir de la mi-mars et jusqu'au mois de juin, le gouvernement va demander aux distributeurs de réduire leurs marges sur des produits du quotidien. Il s'agit ainsi de aider les Français les plus démunis à faire face à l'inflation. L'Etat prendra ensuite le relais avec l'idée d'un chèque alimentaire. L'analyse deu sociologue Jean Viard sur cette situation.
franceinfo : A quel point les Français souffrent t il aujourd'hui de l'inflation ?
Jean Viard : Tout le monde en souffre, mais pas de la même manière. Pour ce qui est de la nourriture dans les milieux populaires, c'est 20 % de la dépense. Dans les milieux aisés, c'est 13 % de la dépense. Donc, c'est clair que dans les milieux populaires, le fait que la nourriture augmente a davantage d'effet. La première urgence, est de permettre aux gens de manger correctement. Après, faut-il donner des primes ou augmenter le SMIG et les minima sociaux ? D'un point de vue philosophique, c'est un vrai débat. La France a déjà dépensé 43 milliards d'euros en aides diverses depuis deux ans pour lutter contre l'inflation. La question est de savoir comment aider ceux qui en ont le plus besoin en essayant d'y mettre moins d'argent possible ?
Ce que vous dites, c'est qu'il y a d'un côté la France que vous nommez la France des centimes et en parallèle une France qui va très bien ?
Mais évidemment ! Disons d'abord que la France qui consomme beaucoup, n'a pas consommé pendant la pandémie. Plus de la moitié des Français qui peuvent voyager ou aller au restaurant ne l'ont pas fait et ont mis l'argent de côté. Donc le taux d'épargne est considérable.
Il y a désormais un désir extrêmement fort de s'aérer la tête, de sortir. En plus, les Français sont assez dépressifs, ils ont besoin de se retrouver. Le problème, c'est que ce désir, il est dans tous les milieux sociaux, y compris chez ceux qui ne peuvent pas se le payer. Ce qui peut d'ailleurs les entraîner à une conflictualité sociale supérieure. Parce que je dirais qu'ils sont d'autant plus malheureux que eux aussi ont envie d'aller voir les fleurs au printemps et aussi envie d'aller en montagne plus fort qu'avant. Ils peuvent pas le faire. Et les autres? Effectivement, ils ont le désir qui a augmenté mais ils ont les moyens financiers.
On voit très bien ce clivage, en ce moment, et donc on est dans une société en tension. Une partie de la société est à fleur de peau et l'autre partie de la société se sent parfois un peu honteuse d'aussi bien vivre. Comment construire, dans ces conditions, un projet commun ? Ce n'est pas évident.
L'inflation illustre ainsi que la France est un pays dans lequel les inégalités se creusent ?
Oui, mais pas davantage qu'ailleurs. La France est un des pays qui redistribue le plus, c'est un des pays où on prélève le plus sur le PIB pour redistribuer. L'écart qui se creuse entre riches et pauvres est un phénomène mondial, sans doute post pandémique et largement accéléré par la guerre en Ukraine. Ce n'est pas particulier à la France.
La ligne de clivage ne se décale-t-elle pas ? Il n'est plus seulement entre les très riches et les très pauvres, mais maintenant entre les foyers les plus précaires et les classes moyennes ?
Bien sûr, parce qu'effectivement, si vous voulez vous que je vous donne les chiffres sur la nourriture, ceux qui mettent 20 % de leur argent dans la nourriture quand celle-ci augmente de 20 %, ça fait beaucoup. Pour ceux qui ne mettent que 13 %, c'est moins sensible. Idem pour le logement avec la question de savoir s'il faut bloquer les loyers qui sont un champ encore plus important en dépenses que l'alimentation.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.