Hausse de l'énergie : "On est engagé dans la bataille du réchauffement climatique. C'est pas demain, c'est déjà aujourd'hui", Jean Viard
Nous assistons à un choc de l'énergie comparable au premier choc pétrolier des années 70, nous expliquait cette semaine, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire. Si bien que le gouvernement veut compenser en partie ces hausses avec ce dispositif annoncé samedi 12 mars, quinze centimes de remise par litre de carburant acheté, à partir du 1er avril.
Le gouvernement a donc annoncé ce samedi 12 mars une remise de quinze centimes par litre de carburant acheté, à partir du 1er avril, pour compenser les hausses qui se succèdent du prix de l'énergie. On en parle avec le sociologue Jean Viard.
franceinfo : Est-ce que la montée des prix de l'énergie va nous contraindre à faire des choix que nous n'acceptons pas de faire jusqu'à maintenant pour le climat ?
Jean Viard : On entre dans une zone de turbulences qui va être énorme. On parle de l'énergie, demain, on va parler du prix du pain, etc. Il faut que tout le monde se dise ça, parce que si on est simplement en train d'hurler à cause des hausses en disant que l'État peut payer, l'Etat, c'est-à-dire nos impôts, on n'y arrivera pas. On est dans une situation de guerre. Il faut accepter cette situation, ce n'est pas nous qui l'avons imposée, ce sont les Russes. Et donc, effectivement, ça va entraîner un bouleversement des modes de consommation, au moins à court terme, peut-être à long terme. C'est la première chose.
Après, y a une urgence sur les carburants, y compris pour les gens les plus modestes. Et donc, il y a une mesure qui a été prise. C'est simplement technique. Ils ont pris une mesure qui évite de faire une loi. Ça, c'est la toile de fond. La vérité, c'est qu'il y a déjà eu des moments où le pétrole était plus cher qu'aujourd'hui. Mais nous, on l'achetait moins cher. Pourquoi ? Mais parce que petit à petit, on a augmenté les taxes sur les carburants pour lutter contre le réchauffement climatique, et donc on ne peut pas arrêter ce combat-là, sous prétexte qu'il y a un autre combat.
Donc, il faut protéger les plus fragiles qui sont pris en ciseau, entre le réchauffement climatique et la guerre en Ukraine. Et c'est pour ça qu'il y a plus de charges sur le pétrole, l'essence, etc. On est engagé dans la bataille du réchauffement climatique. C'est pas demain, c'est déjà aujourd'hui.
Mais c'est une pression financière sur les plus modestes, c'est un choix très clair ?
Mais bien sûr, c'est clair que ce sont les plus modestes qui en supportent le plus grand prix. Il faut rappeler que 60% des gens ne peuvent aller travailler qu'en voiture, et c'est ce qu'on avait raté avec les Gilets jaunes. Les Gilets jaunes, ça avait mis une partie de la France en colère, parce que c'était une décision politique – si je suis méchant, de bobos urbains – qui en fait concernait des populaires périurbains. Donc, il y avait le sentiment d'un mépris d'un mode de vie mal connu. Là, on n'est pas dans la même situation. Il y a 79% des Français qui sont solidaires de l'Ukraine à cause de cette guerre. Il y en a quand même 21% qui sont contre, il faut faire attention.
Vous abordez la situation de la guerre en Ukraine, et c'est intéressant parce que ce qu'on entend aussi, c'est que consommer trop d'énergie maintenant, c'est en partie financer la guerre de Poutine. Il y aura un prix à payer en France pour cette guerre. Est-ce que ça veut dire qu'il faut réduire notre consommation par devoir moral, en quelque sorte, et qu'à cet égard, ça peut doper l'effort vers une transition écologique ?
Tous ceux qui peuvent réduire leur consommation et avec le sentiment du coût solidaire, baisser le chauffage de deux degrés oui, allumer sa cheminée plutôt que son poêle à mazout, voire rouler à 110 km/h sur les autoroutes, ça fait baisser de 20% la consommation. Il y a des petites mesures comme ça qui ne vont pas changer le schmilblick, mais ce qui se passe est horrible, parce qu'on voit des gens mourir à la télévision tous les jours, et comme il y a le parapluie nucléaire russe, on ne peut rien faire. Donc on est dans une situation de honte en réalité, les uns et les autres, parce qu'on a qu'une envie, c'est : allons mettre de l'ordre ! On ne peut pas.
Donc, il faut qu'on gère cette honte en faisant des gestes peut-être symboliques. Ça peut être accueillir des gens, ça peut être donner de l'argent, ça peut être restreindre certaines de nos consommations. Après, c'est vrai qu'il y en a qui ne peuvent pas le faire, mais il y en a sans doute moins que ceux qui vont râler. C'est pour ça qu'il faut aussi entraîner l'opinion publique à un réarmement moral dans une situation où, au fond, on avait tous l'impression qu'il aurait plus ni guerre, ni pandémie, et malheureusement, il y a la fois guerre et pandémie.
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