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"Il ne faut pas avoir peur de ChatGPT, ces machines n'inventent pas, mais elles font faire des bonds à l'humanité en vitesse de connaissance", estime Jean Viard

Faut-il avoir peur de ChatGPT ? C'est la question de société que l'on se pose aujourd'hui avec le sociologue Jean Viard, alors que l'Institut d'études politiques de Paris a annoncé cette semaine l'interdiction de l'utilisation de ce robot conversationnel, créé par la start-up californienne OpenAI.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
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Publié Mis à jour
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Toulouse, le 23 janvier 2023. Un  écran montrant les logos de OpenAI et de ChatGPT. ChatGPT est un nouvel outil informatique de l'intelligence artificielle, un robot conversationnel développé par Open AI. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Le sociologue Jean Viard nous aide aujourd'hui à répondre à cette question : faut-il avoir peur de ChatGPT, ce nouvel outil de l'intelligence artificielle qui peut discuter avec n'importe quel humain, répondre à nos questions, en utilisant un langage très naturel en apparence. Il peut vous écrire une dissertation, un poème sur n'importe quel thème, et ça fait peur à certains. Sciences-Po, par exemple, vient d'interdire son utilisation par les étudiants.

franceinfo : Est-ce qu'il faut vraiment avoir peur de ce robot ?

Jean Viard : Il ne faut pas avoir peur. Je me suis renseigné parce que je n'étais pas très spécialisé. Mais en fait, c'est un outil de l'intelligence artificielle qui va chercher sur le Net tout ce qu'on a pu dire sur un sujet. Je pose une question sur le tourisme, sur les vaches, sur les Ferrari, il va regarder à toute vitesse tout ce qu'on a dit. Il va prendre des bribes de textes, il va les assembler pour faire quelque chose d'intelligent et de cohérent.

Au fond, c'est ce que fait un bon étudiant quand il fait une dissertation. Sauf que l'étudiant va rajouter, s'il fait bien son travail, une idée supplémentaire, personnelle. On dit souvent pour la fin d'une dissertation : ouvrez une porte ! C'est vrai que tout ça, en gros, c'est de la copie de ce qui existe déjà, sauf que ces machines n'ont rien emmagasiné comme savoir, et donc n'ont pas fait la démarche de chercher. Donc, au fond, elles n'ont rien trouvé. Et à la fin, elles n'en savent pas plus qu'au début, et ça ne sert plus à rien, d'une certaine façon, de faire ce genre de dissertations qui sont quelque part fictives, au sens où elles sont prises ailleurs.

C'est ça que ça pose comme question : comment on continue à apprendre, à être des individus apprenants, qui s'interrogent sur le monde, c'est ça qui est derrière. En même temps, il ne faut pas en avoir peur, parce que ces machines n'inventent pas. Elles se promènent dans le web, et elles cherchent avec beaucoup d'astuce et d'intelligence ce qui est dedans. Mais ce qui n'est pas dedans, l'inattendu, l'idée marginale sécante, la pensée révolutionnaire, l'œuvre artistique, le geste artistique, le premier dessin de Picasso, ça, ce n'est pas dans la machine.

Donc pour l'instant, tel que je le comprends moi comme sociologue, je crois qu'il faut se dire : ça peut aider l'humanité, ça peut être dangereux pour les processus d'apprentissage, donc le monde éducatif doit s'en préoccuper. Mais effectivement, l'homme reste l'auteur de la création. Certains pensent que c'est Dieu. Moi, je fais partie de ceux qui pensent que c'est l'homme. 

Ce n'est évidemment pas la première fois qu'une révolution technologique fait peur, crée de la défiance. Comment on explique cette ambivalence ? On crée des outils qui sont très attirants, très intrigants, mais on s'en méfie en même temps ? 

Mais vous savez, quand on a inventé le train, il y a des villes qui ont refusé que le train passe. La ville d'Aix-en-Provence, par exemple, a refusé les voies de chemin de fer près de la ville, alors que Aix aurait dû être la grande gare. Ça aurait été logique. Plutôt que d'aller faire la gare à Marseille qui est un cul-de-sac où les trains partent et repartent en marche arrière. Bon, mais pourquoi Aix n'a pas voulu ? C'était une ville bourgeoise, elle a refusé le train, cet objet qui faisait du bruit, qui n'avançait pas, et cetera, c'est pour dire que même le train, il y a eu des refus au XIXe siècle de grandes villes comme Aix, ce n'était pas la seule à refuser le train.

Donc chaque fois qu'il y a une innovation, il y a forcément des gens qui en ont peur, on ne la connaît pas bien, on n'en connaît pas les conséquences. C'est facile après, de dire le train, qu'est-ce que c'est génial ! Et beaucoup plus écolo que la voiture. Mais ce n'était pas évident au début. Donc, on arrive à un moment où d'abord, on utilise le mot intelligence, donc ça nous fait peur parce qu'on pensait que l'intelligence, c'était nous. On a toujours dit que l'humain était intelligent et qu'à la limite, on discutait pour savoir si les animaux étaient intelligents ou pas, ou en tout cas pas comme nous. Et donc, il y a là une inquiétude qui me semble relativement légitime.

Mais après, le rôle de l'enseignement, le rôle de la pédagogie, c'est d'apprendre ces outils, d'apprendre à avoir confiance, d'apprendre à les utiliser, peut-être de les réglementer. Regardez comme on ne sait pas réglementer le monde Internet, mais après, chaque fois, ça fait faire des bonds à l'humanité en vitesse de savoir, en vitesse de connaissance, et en ce moment que nous traversons, c'est-à-dire au début de l'immense guerre climatique des 50 prochaines années, tout outil qui renforce notre puissance de maîtrise me semble positif, parce que cette guerre a besoin qu'on accélère. C'est ça qu'il faut dire. Mais c'est normal qu'on ait peur.

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