Inondations et changement climatique : pour Jean Viard, "si tout le monde ne se dit pas : je suis responsable, on ne va pas y arriver"

Les inondations répétées dans le Pas-de-Calais nous montrent qu’il va falloir apprendre à vivre avec ces événements climatiques. Décryptage avec le sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Jean-Rémi Baudot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Blendecques, dans le Pas-de-Calais, le 4 janvier 2024. La rivière Aa est encore sortie de son lit. (THIERRY MONASSE / GETTY IMAGES EUROPE)

Aujourd'hui encore, on pense à ces Français dont les maisons sont inondées dans le Pas-de-Calais notamment. La décrue a débuté, mais la situation reste délicate, encore plus délicate, alors que le froid s'annonce cette semaine. On pourrait dire que ça arrive des inondations, mais le problème c'est que dans certaines communes, ça fait deux ou trois fois en quelques semaines que ces phénomènes se répètent.

franceinfo : Jean Viard, se pose la question du manque de préparation de nos communes. Est-ce que la sociologie s'intéresse à cette question ?

Jean Viard : Oui, elle s'intéresse aux risques, à la responsabilité aussi. Mais ce qui est compliqué, c'est que la dernière grande inondation, ça a été celle de 2002. On a effectué des travaux et comme toujours, on a fait ces travaux au niveau de 2002, en se disant bon, si ça recommence, en gros, on est à peu près protégés. Il se trouve que c'est beaucoup plus fort, et donc c'est ça qui est très compliqué.

C'est un peu comme les centrales nucléaires, on dit telle zone, il y a déjà eu du sismique. Bon, on va prendre dix de plus, parce qu'on ne sait pas comment faire. Avec effectivement ce qui se passe en ce moment, il faut comprendre qu'on est face à des choses imprévisibles. Je ne sais pas quelle sera la prochaine chute de pluie dans ce territoire, quel sera le prochain incendie dans les Landes ou le prochain épisode cévenol dans les Cévennes. Donc il faut se dire : ça va être plus fort et il faut se préparer, y compris dans la tête.

Près de chez moi, il y a un quartier, où les maisons sont au premier étage. On a dit aux gens : mettez des piquets et en dessous vous pouvez garer votre voiture, mais vous ne pouvez pas mettre de bâtiment. Il y aura des inondations. Donc si on habite au premier étage, ce n’est pas agréable, mais ce n’est pas impossible. Après il peut y avoir des problèmes de pouvoirs publics qui n'ont pas fait leur job, mais ça, je ne peux pas le juger.

Mais on a parfois trop laissé construire dans des zones à risques ?

Mais c'est ça le problème. Il va falloir qu'on prenne chacun notre responsabilité. Si je veux construire une maison dans une pinède, c'est non. C'est déjà interdit depuis longtemps. Si j'ai envie de voir la mer, oui, c'est vrai que j'ai envie de voir la mer, mais non chéri, tu ne pourras pas voir la mer. Et si tu fais pression sur ton élu, il est élu par les gens, donc si 10 familles arrivent et disent : nous, on veut construire là, et que ça fait 100 voix, l'élu en tient compte.

Est-ce que la pression de vouloir avoir son pavillon, ces Français qui ont envie de leur maison, finalement ça crée de la pression aussi ? 

60% des Français habitent dans des maisons avec jardin, c'est l'habitat principal. Et le deuxième habitat, c'est la résidence. Il y a 4 millions de familles qui ont deux maisons. Une en ville et une en dehors de la ville. Et puis il y a des gens pauvres qui n'ont pas de deuxième maison, ni de jardin. Donc ça reste dans la culture des Français, profondément.

La question c'est : comment on va densifier le périurbain à certains endroits, au lieu d'avoir des pavillons à 2.000 mètres carrés, on va mettre 300 mètres carrés, là, peut-être qu'on pourra faire des investissements de protection, parce qu'on aura plus de maisons, plus d'habitants, etc. Et puis ailleurs, on va dire aux gens : non, là tu ne peux pas, mais deux kilomètres plus loin, ça va être possible. Il n'y a pas de secret, si tout le monde ne se dit pas : je suis responsable, on ne va pas y arriver.

Aux Pays-Bas, ils ont un peu réglé le problème. En janvier 1953, il y a eu une crue meurtrière qui a fait près de 2000 morts, et ils ont décidé de tout changer avec des digues, des bassins. Ils ont surtout rationalisé les constructions. En France, on a l'impression que le politique, là-dessus, reste encore un peu frileux, parce que finalement, politiquement, c'est explosif de dire : vous ne pourrez plus faire ça ?

Oui, bien, c'est sûr que s'il y avait 2000 morts, on pourrait plus facilement déplacer des populations. Mais ne le souhaitons pas. Donc, ce qui s'est passé dans les polders en Hollande, ça a été absolument dramatique, quand c'est absolument dramatique, du coup, on accepte. C'est comme la grande pandémie. On a accepté de s'enfermer parce qu'on avait une peur bleue d'être malade. C'est pour ça que j'insiste sur le fait que chacun doit être responsable, y compris les élus, il va falloir qui se musclent en disant : non, je suis désolé, là on ne fait pas un lotissement. Y compris les promoteurs.

Donc on est face à une vraie question. Alors, ici, depuis 95, on a déterminé les zones inondables, avant ça n'existait pas, mais ce ne sont pas que les zones inondables, les zones d'incendie sont un énorme problème du futur. Regardez au Canada, le nombre de maisons qui ont brûlé.

Donc c'est une question d'anticipation et en réalité, c'est très politique ?

Mais c'est très politique. En même temps, le problème, c'est que ce qu'on a construit avant, on a pu ne pas tenir compte de ces règles. Donc pour ça, il va bien falloir assumer la responsabilité collective. Et puis surtout, il faut empêcher les autres de continuer. Ce sont deux sujets un peu différents, parce que celui qui a construit un pavillon en 92, ce n'était pas déclaré zone inondable. Aujourd'hui, c'est déclaré zone inondable mais lui, il a construit sa maison. Comment on fait ? On la démolit ? Qui paye ? C'est ce qu'on fait à certains endroits. Rappelez-vous les inondations qu'il y avait eues dans le Sud-Ouest il y a quelques années.

Donc effectivement, on va démolir quelques maisons, ça va se faire. Là, effectivement aussi, on est quasiment en dessous du niveau de la mer. Disons-nous chacun, effectivement, qu'est-ce que je fais pour ne plus faire pression pour faire des choses qu'on ne pourra pas garder.

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