Jeunesse et politique : "On a la démocratie représentative, le président et ses ministres, et la démocratie de l'instant, avec un cheval léger, c'est le couple qui fonctionne", selon Jean Viard

Jeunesse et engagement en politique, quel impact, quelle efficacité ? L'éclairage du sociologue Jean Viard.
Article rédigé par Jules de Kiss
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Paris, 12 janvier 2024. Le nouveau Premier ministre, Gabriel Attal vient de dévoiler son nouveau gouvernement, 14 ministres pour la plupart issus des rangs de la droite. (CHESNOT / GETTY IMAGES EUROPE)

Chaque week-end, franceinfo répond à des questions de société, et on parle aujourd'hui du nouveau gouvernement, puisqu'on en connaît l'ossature depuis jeudi soir, le nouveau gouvernement de Gabriel Attal. À 34 ans, le plus jeune Premier ministre de la Ve République n'est pas pour autant le plus jeune membre du gouvernement. Marie Lebec, par exemple, ministre des Relations avec le Parlement, a 33 ans.

franceinfo : Cette jeunesse, Jean Viard, a beaucoup été soulignée depuis la nomination de Gabriel Attal. Est-ce que, selon vous, c'est pertinent ? Est-ce que ça a vraiment son importance ?

Jean Viard : D'abord, je rappelle que Napoléon était consul à 30 ans. Moi je crois que surtout, ça donne un coup de vieux aux autres. Ce qu'on est en train de faire, c'est de faire d'Emmanuel Macron un papy référentiel dans la société. Et donc on fait un décalage entre un jeune et puis effectivement, les autres qui restent sur des postes importants, et qui au fond sont la compétence, l'économie, le droit, etc. Et je crois que ça c'est important, c'est le couple qui fonctionne.

On a le président et ses ministres, et j'allais dire sur le bord, une estafette de combat qui est un homme jeune, dynamique, qui a été en cinq mois brillant à l'Education nationale, mais ça n'a quand même pas encore changé nos vies. Et donc ce cheval léger – si c'était dans un combat militaire sous Napoléon – il est chargé de mener les attaques, les contre-attaques. Il va mener le combat dans une société où il faut bien comprendre quelque chose : c'est la crise des démocraties modernes, c'est le conflit entre la démocratie représentative où le droit prend du temps, parce que c'est long la démocratie, ce sont des palabres, ce sont des négociations.

Or, la démocratie numérique, c'est une démocratie de l'instant. Regardez Donald Trump, il dit : Si je suis élu, la guerre en Ukraine, en 15 jours, c'est terminé. Et en plus, ce n'est pas impossible. Il coupe tous les budgets, il téléphone à Poutine, il deale, etc. Donc, on est dans une profonde contradiction entre la démocratie qui est un monde de la palabre, et puis le monde numérique qui est un monde de l'instant. Donc il y a deux pouvoirs. Il y a le président et ses grands ministres, et un cheval léger qui a compris – mais Nicolas Sarkozy l'avait déjà compris – regardez sur l'abaya, toc, c'est interdit en 24 h. Le baccalauréat, c'est déplacé.

Donc je pense qu'on est d'un côté dans cette logique de l'ultra vitesse, qui est celle des sociétés modernes, qui est celle de l'extrême droite, qui est celle des populistes, qui vous disent tout de suite oui, tout de suite, on fait. Les immigrés, hop, on les met aux bateaux – on ne les mettra pas au bateau, mais ce qu'on dit, c'est ça. Et au fond, la démocratie cherche une double vitesse de course, et là, on a deux joueurs qui ne sont pas dans la même vitesse, et on va voir comment ça marche.

Ce que vous dites Jean Viard fait d'ailleurs écho au premier mot d'Emmanuel Macron, à ces nouveaux ministres lors du premier Conseil des ministres. Il a demandé hier, des résultats, de la solidarité, et de la vitesse, aux nouveaux membres du gouvernement. La vitesse et la jeunesse, vous disiez que ça donnait un coup de vieux à certains. Ça pose la question quand même de la perception de la jeunesse en politique par les Français ? 

Les gens qui votent dans ce pays, ce sont plutôt les gens âgés. 

Et les jeunes en politique plaisent surtout aux vieux ? 

Au fond, c'est comme si nos enfants étaient au pouvoir. Mais nous, on réfléchit comme ça, je vois bien à mon âge...

Le gendre idéal, le fils modèle, la fille modèle...

Voilà ! Donc au fond, ce sont nos enfants qui sont en train de réaliser leur vie, c'est ça qui se passe dans nos têtes. En fait, les gens âgés aiment bien la dynamique des jeunes, parce que c'est leur jeunesse, ça leur rappelle 68, les années 70, Giscard d'Estaing, là aussi il y avait des jeunes. Le président Giscard d'Estaing, quand il a été élu, ce n'était pas tout à fait un gamin comme le président Macron, mais c'était quand même aussi un jeune, par rapport surtout à De Gaulle, à Pompidou qui était mort de maladie etc.

Je pense que les personnes âgées sont satisfaites, et la jeunesse, si je suis direct, elle s'en fout. Les jeunes, ils sont engagés dans des combats écologiques, engagés contre une autoroute, voire dans la solidarité, ce sont des acteurs de l'immédiat politique. Et les anciens sont des acteurs du temps long, et ils vont voter.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.