Mitterrand et Kohl à Verdun : "Cette scène est restée parce qu'elle associe les morts des deux pays"

Le sociologue Jean Viard revient sur la poignée de mains historique entre François Mitterrand et Helmut Kohl, il y a 40 ans, le geste de la réconciliation franco-allemande, le 22 septembre 1984.
Article rédigé par franceinfo - Benjamin Fontaine
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Le président François Mitterrand et le chancelier Helmut Kohl se donnent la main, le 22 septembre 1984 à Verdun, alors que les hymnes nationaux des deux pays sont interprétés par un orchestre militaire, lors de la cérémonie hommage aux morts de 14-18. (BETTMANN ARCHIVE / GETTY IMAGES)

Nous sommes aujourd'hui le 22 septembre 2024. Il y a 40 ans, à Verdun, en pleine cérémonie d'hommage aux morts de 14-18, François Mitterrand, le président français, et Helmut Kohl, le chancelier allemand, accomplissaient un geste historique.

franceinfo : Une poignée de mains aussi appelée le "Geste de Verdun", alors que quelques mois plus tôt, l'Allemagne n'avait pas été invitée aux cérémonies du débarquement en Normandie. À ce moment-là, que représente ce geste pour les Français ?

Jean Viard : D'abord, c'est le président Mitterand qui a pris l'initiative. Le chancelier Kohl a d'ailleurs un air un peu surpris quand le président français lui prend la main, et l'image est restée parce qu'elle est très forte. En plus, Kohl, c'était un costaud et Mitterrand était beaucoup plus petit. On a tous dans la tête l'image de cet énorme costaud à côté de François Mitterand. Mais c'est très important pour plusieurs raisons.

D'abord parce que ces deux hommes étaient liés à Verdun : le grand-père de Kohl avait été blessé à Verdun, et François Mitterand a été fait prisonnier en 1939 à Verdun, donc c'est un lieu important dans leur histoire personnelle. Après, c'est vrai que la construction du nouveau rapport entre la France et l'Allemagne, après un siècle de guerre, des guerres épouvantables, notamment les deux dernières,  c'est une construction qui a pris du temps.

Au début, ça a commencé dans la cathédrale de Reims, entre de Gaulle et Adenauer. Mais eux, c'étaient des grands catholiques, donc Reims, ça faisait sens le sacre des rois de France, etc. Après, il y a eu Willy Brandt qui était un ancien résistant et Pompidou, ensuite Giscard d'Estaing et Helmut Schmidt qui ont été des grands modernisateurs. Ils ont mis en place le Conseil européen, ils ont lancé la monnaie européenne. Ça ne s'appelait pas encore l'Euro. Eux, c'étaient des techniciens. Au fond, il y en a un qui était de droite, de gauche, ils étaient humainement très liés, et il faut rappeler que Giscard d'Estaing était né en Allemagne.

Donc chaque fois, les couples ont une histoire parce que le rapport franco-allemand est très fort. Et effectivement, François Mitterand et le chancelier Kohl, cette scène est restée parce qu'elle est face aux morts et on associe les morts des deux pays. On dit : écoutez, on s'est battu là, il y a des Allemands qui sont morts, il y a des Français qui sont morts, il y en a eu beaucoup, et ça a duré longtemps. Aujourd'hui, on est capables de s'incliner ensemble devant leurs dépouilles. 

Et c'est pour ça que je pense que ça a un sens extrêmement fort de la relation entre les deux pays. Une relation compliquée, à cause de l'histoire, à cause de la mémoire. Il y a encore évidemment toute la question de la Shoah qui en découle aussi, mais qui ne concerne pas évidemment que la France.

Et derrière les dirigeants qui se sont succédé, ont tous cherché à avoir un geste fort ?

Oui, parce que c'est devenu, j'allais dire une tradition. C'est vrai que depuis, c'est moins fort, y compris parce que l'Europe s'est agrandie. En ce moment, on a l'impression que les politiques ne sont pas toujours articulées. Quand les Allemands ont mis en place une politique pour le haschich à partir de communautés, de clients et de producteurs, je me suis dit mais pourquoi on ne le fait pas avec eux, plutôt que de continuer à s'entretuer sur la drogue ? Il y a des grands sujets, y compris de modes de vie où on aurait pu avancer, on ne l'a pas fait, et en ce moment, on est dans une autre époque. On est obsédés par les immigrations, les mobilités des gens, etc.

On se remémore ce geste alors qu'aujourd'hui l'Allemagne renforce ses contrôles aux frontières. Et c'est vrai que le couple franco-allemand bat un peu de l'aile, avec des divergences sur ce sujet de l'immigration, sur l'économie aussi ?

Oui, sur l'économie bien sûr, parce que les Allemands se sont beaucoup développés, il faut le dire, en s'appuyant effectivement sur les pays d'Europe centrale, notamment parce que la main-d'œuvre y était beaucoup moins chère et l'énergie aussi. Donc là, évidemment, ils avaient un atout de proximité qu'ils ont perdu avec l'attaque de l'Ukraine par la Russie, c'est clair.

Et puis, sur la question des rapports à l'immigration, il ne faut pas non plus exagérer, les Allemands utilisaient le droit – c’est-à-dire, ils ont le droit pendant six mois de remettre des frontières – en attendant que ce qui a été voté à Bruxelles l'année dernière sur la défense européenne, soit vraiment mis en place. Parce que le vrai problème qu'on a, c'est plutôt la question des frontières de l'Union européenne, donc certains pays sont plus concernés, d'autres parce qu'ils ont des frontières, que ce soit vers le sud, ou que ce soit effectivement vers l'est. Et donc là, il y a une crise en Allemagne en ce moment, y compris qui a été marquée par la montée électorale de l'extrême droite qui explique cette situation. 

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